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Spectacle Kylian par les Ballets de Monte Carlo - Ombres et paillettes - Compte rendu

Etrange, surprenante soirée que ce voyage au cœur de l’univers d’un des plus grands maîtres de la chorégraphie contemporaine, le Tchèque Jiri Kylian, adulé comme le point exact de rencontre entre la grammaire classique et une pensée tout à fait libérée des codes, et même de la logique la plus élémentaire. Ce spectacle conçu par lui pour les Ballets de Monte Carlo, avec au programme deux pièces parmi ses plus belles, ses plus célèbres, et aussi des clins d’œil, voire des coups de poing sur le mode loufoque, célèbre en fait l’amitié très forte qui existe entre Kylian et Jean-Christophe Maillot, directeur de la compagnie, laquelle fête ses trente ans d’existence cette année dans une atmosphère de liesse réjouissante. Irrésistible donc, la vitalité organique avec lesquelles Maillot va au bout de ses passions, chante ses amours, et d’une certaine façon les remercie de la chance qu’il a eue de les rencontrer. 
 
De Kylian, on attend toujours des surprises. Sa sensibilité, sa subtilité, une certaine distance par rapport aux sujets traités, pour garder toujours la dose de léger humour nécessaire, le sourire fin aux coins des lèvres font que rien n’est jamais convenu chez lui. Contrastes, qui avec une tonalité autre, existent aussi chez Maillot et rapprochent certainement les deux créateurs, dupes de rien. Ici, on a pu une nouvelle fois se plonger dans l’univers onirique de Bella Figura, ballet emblématique du travail de Kylian avec le Nederlands Theater, en 1995, et que l’on a pu voir et revoir à l’Opéra de Paris. Les Ballets monégasques, eux,  l’avaient inscrit à leur répertoire en 2002 et ont dû entièrement recommencer leur travail de découverte. Nous sommes ici dans le chic le plus absolu, l’érotisme le plus délicat et troublant, en une succession de tableaux très graphiques : les gens se frôlent, se regardent de l’intérieur autant qu’ils considèrent l’autre, toute une étrange symphonie de signes portée par le Stabat Mater de Pergolèse, outre des pièces de Vivaldi, Marcello, Torelli et du contemporain Lukas Foss. Torses nus, jupes rouges, on est à la frontière de la quête d’identité baroque et de l’attitude sophistiquée et introvertie de la danse japonaise, revisitée par l’occident.  Une ombre souvent présente dans l’œuvre de Kylian – confère le magnifique Kaguyahime.
 
Pour Gods ans Dogs, sur le splendide Quatuor à cordes opus 18 n°1 de Beethoven, on se retrouve dans une sorte de jungle urbaine totalement distancée et maîtrisée d’où sortent seuls des élans de violence comme hiératisés, pour n’en garder que l’intention, la portée. Pièce récente, puisque de 2008, et où le chorégraphe montre qu’il n’a rien perdu de son génie incisif et étrange. On y admire encore plus la qualité croissante d’une compagnie qui peut aujourd’hui rivaliser avec les meilleurs du monde et dont la beauté plastique est un atout non négligeable, pourquoi le nier.
 

© Alice Blangero
 
Ensuite, cap sur la folie, le sexy, le glamour, le tout-fou : on sait la complicité intense qui unit depuis vint ans Maillot et sa vedette, sa muse, devenue aujourd’hui son principal soutien artistique, l’étonnante Bernice Coppieters, androgyne, multiforme et fascinante. On sait que tous deux ont quitté la scène, lui tout attaché à sa mission attaché, mais en pleine forme à bientôt 56 ans, elle, retirée du plateau depuis l’an dernier et toujours éblouissante. Kylian, leur ami, leur a brossé une petite pièce de circonstance, baptisée Oskar, pièce d’occasion, où ils se battent, se castagnent et s’effondrent sur leur gâteau d’anniversaire, gâteau dont ils ont usé une copieuse quantité avant d’atteindre à la perfection burlesque de cette pièce façon Marx Brothers, enlevée à un rythme délirant et présentée sous forme d’une petite vidéo de 4 minutes. Et là, coup du sort : alors qu’ils en finissaient l’enregistrement, sur Cream, la musique de Prince, celui-ci disparaissait. Coïncidence qui les a troublés, on le comprend.
 
Ensuite, Kylian fait une liaison avec Chapeau, autre pièce d’occasion créée pour le 25e anniversaire du jubilé de la reine Beatrix, en 2005. Là on est en pleines Broadway, avec une chorus line s’agitant sur la musique de Prince, déjà, et levant gaiement les gambettes en mesure, jupettes clinquantes, le chef couronné de chapeaux qui semblent excentriques alors qu’ils sont fidèlement copiés sur la collection de la Reine (quand fera-t-on un ballet sur ceux de la Reine d’Angleterre ?). Règne de l’excentricité, de la joie folle, du punch, répétitif mais  subtilement élaboré et difficile à interpréter pour ses mini ruptures. On applaudit gaiement, en se disant que Kylian, décidément se moque de tout, du drame, de sexe, de la fête, bref de la comédie humaine, en n’abattant jamais le masque, mais en jouant le jeu. Là est son créneau, tellement à part. N’est ce pas lui qui fut responsable en 1983, du plus drôle ballet de l’histoire de la danse, Symphony in D, sur Haydn, et les ballets qui font rire, ce n’est pas si fréquent !
 
Jacqueline Thuilleux

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Spectacle Jiri Kylian - Monaco, Grimaldi Forum, 28 avril 2016 / www.balletsdemontecarlo.com/

Photo © Alice Blangero
 

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