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Simon Rattle et le London Symphony Orchestra à la Philharmonie de Paris – Les grandes ondes – Compte-rendu

 
Programme puissant, avec les deux géants d’un romantisme finissant, celui, sombre et déchiré de Sibelius, chantre de sa Finlande, hanté par les nouveaux visages de la musique apparus avec le XXe siècle, et l’autre, wagnérien et grandiose du pur et émouvant Bruckner : Sir Simon Rattle, lui-même capable de tout diriger et de tout écouter tant son amour des formes musicales les plus diverses excite sa curiosité, de la musique de film à celle de Thomas Adès, des finesses de Haydn et Mozart aux provocations acides de Stravinski, a toujours adoré aborder à ces univers riches de sens.
 
Avec le London Symphony Orchestra, il a d’abord choisi un volet de l’art de Sibelius, qui se tient d’un seul tenant dans son inspiration, loin des sombres, voire lugubres, méditations contenues dans le Cygne de Tuonela, la Valse triste, ou des pétaradantes injonctions de Finlandia : un Sibelius panthéiste, épousant la nature si forte de son pays, mais en la ressentant au travers des grands flux épiques du Kalevala. Avec les Océanides, enchaînement de flux qui vont et viennent avec une prodigieuse richesse harmonique, on part à la découverte d’un monde nordique, traduit avec une sensibilité bien éloignée de la nôtre et qui n’en acquiert que plus de séduction. Difficile de ne pas tenter une comparaison avec La Mer de Debussy, un des rares hymnes à la nature que la musique française connaisse (à l’exception de Vincent d’Indy, entre quelques autres) : chatoyante et colorée, et autrement plus abordable que cette plongée dans un monde compact et déroutant.
 

Sibelius en 1935 © DR

Venait ensuite le puissant mais nébuleux Tapiola (1926), lequel marque la fin de la grande époque créatrice de Sibelius, avant un long sommeil de trois décennies: comme monolithique, la musique, en forme de poème symphonique, raconte les arbres, leur implacable puissance, la force des forêts et des étendues neigeuses, où l’émotion humaine n’a pas sa place. Rattle, heureusement, en décrypte la stratigraphie complexe, avec un LSO qui ne demande que cela, car la force de la phalange britannique réside plutôt dans sa dynamique que dans ses sonorités, assez peu charmeuses.
 
Grand tournant romantique avec la 7e Symphonie de Bruckner, géante envolée aux admirables séquences saccadées, et porteuse de la belle âme du compositeur, assoiffé d’infini et de grandeur, ce qui lui fait parfois atteindre le grandiloquent. Mais tel n’est justement pas le cas de cette Symphonie en mi  majeur, dont Visconti sut si bien exploiter le pouvoir émotionnel dans son Senso de 1954, comme il le fit pour Mort à Venise avec la Symphonie n° 5 de Mahler. Des frémissements des premières mesures, qu’on aurait souhaitées plus nostalgiques, comme Rattle le fit autrefois dans ses merveilleux enregistrements avec le City of Birmingham Symphony Orchestra, à une époque plus ascendante peut-être de sa carrière, au scintillant scherzo et au palpitant final, une montée irrésistible cependant, dont chaque tournant est souligné par l’intelligence du maestro, qui a gardé sa faculté d’écoute des instruments.
 
Un public en liesse, comme on le voit rarement, a salué cette épopée musicale, dont on se disait juste qu’elle avait perdu un peu de son romantisme frémissant. Bientôt, Sir Simon quittera son orchestre londonien pour prendre la direction de celui de l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise à Munich à la rentrée prochaine. Fin d’une époque, ou changement de style ? On suivra cette nouvelle route avec grand intérêt, tant ce chef marquant de notre temps est capable de surprendre et de convaincre.
 
Jacqueline Thuilleux

 

Philharmonie de Paris, le 14 janvier 2023

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