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Simon Johnson en récital aux Quinze-Vingts – Lyrisme et raffinement
Certes les auditions d'orgue abondent à Paris le dimanche après-midi, et l'église Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts peut sembler excentrée. Mais quel dommage que seul un public restreint et heureusement avisé ait eu l'idée de venir écouter Simon Johnson (photo), Organist & Assistant Director of Music de la cathédrale Saint-Paul de Londres – l'organiste, dans la tradition anglo-saxonne, étant aussi chef de chœur et d'orchestre, d'une intense activité s'agissant de Simon Johnson (1).
Ce concert, après la visite de l'orgue et le récital d'Éric Lebrun lors du week-end du Patrimoine, marquait le véritable début de la riche saison 2017-2018 de ce haut lieu de la musique (2). Le prochain récital aura lieu le 15 octobre, avec Yves Castagnet dans un programme de musique française des XIXe et XXe siècles, cependant qu'Éric Lebrun aura entre-temps repris ses conférences musicales du samedi après-midi, à 17 heures : autour du psautier protestant (7 octobre), des Psaumes de David de Schütz (18 novembre), du psaume dans l'orgue romantique (13 janvier 2018), du psaume dans la musique du XXe siècle (3 février), enfin du Roi David d'Honegger (10 mars). S'y ajouteront les Vêpres musicales des cinq dimanches de janvier et début février, les Concerts de Carême, le Printemps de l'orgue en avril – jusqu'au concert de fin de saison, le 9 juin : Requiem de Fauré et Psaume de Guilmant.
Quelques jours après un récital à l'orgue restauré du Royal Festival Hall de Londres, Simon Johnson proposait donc aux Quinze-Vingts un programme remarquable de diversité, avec quelques pièces reprises de son récital londonien donné sur un instrument de grandes dimensions (103 jeux) et d'esthétique très différente : c'est l'un des aspects spécifiques de l'art des organistes que devoir et de savoir s'adapter à des instruments de facture singulière, dans un lieu et une acoustique chaque fois autres. Si le Cavaillé-Coll des Quinze-Vingts, profondément homogène, ne pouvait que bousculer les repères habituels du musicien, dont l'orgue gigantesque de Saint-Paul, à traction électrique, est réparti en divers endroits de la cathédrale (chœur, nef, dôme), nul doute, dès la première œuvre, qu'il a su très musicalement mettre en valeur la palette parisienne à sa disposition : Prélude et Fugue en la mineur BWV 543 de Bach, rayonnant de clarté et d'intensité, la souplesse et la fluidité du jeu, l'articulation franche (également un legato d'une extrême vivacité) mais aussi un infime rubato, sorte de lien entre le propre style de l'œuvre et l'esprit de la facture Cavaillé-Coll, ayant superbement servi l'illustre diptyque.
Un choral de l'Orgelbüchlein s'ensuivit, puis un choral de Simon Johnson lui-même, composé (n°87) pour The Orgelbüchlein Project (3) : on sait que le Petit Livre d'orgue de Bach devait compter 166 chorals. Seuls 46 virent le jour, mais l'autographe (Bibliothèque d'État de Berlin) nomme les chorals prévus (et donc manquants), tous les titres étant notés de la main de Bach au fil des 186 pages du manuscrit. Le projet initié en 2011 par William Whitehead, sous le patronage de Paul McCreesh et de Dame Gillian Weir, consiste à commander à des compositeurs d'aujourd'hui ces chorals laissés en blanc par Bach, afin de compléter le cycle – et de le publier avec pas moins de 118 nouvelles pièces. La pièce commandée à Simon Johnson (qui en décembre dernier a créé à Saint-Paul de Londres le n°60, composé par Barnaby Martin) est spécifiée, sur le site du projet : Trio de minimalisme. On ne saurait mieux en suggérer le climat lumineux et captivant, deux voix en mouvement perpétuel sur un ambitus et un matériau minimalistes enserrant le chant du choral, au pédalier.
La musique anglaise fut évoquée à travers Herbert Howells (1892-1983), archétype du musicien d'église anglais, dont l'œuvre chorale et d'orgue est des plus prisées en son pays. Master Tallis's Testament est la troisième des Six Pieces pour orgue de Howells (1939-1945, publiées en 1953) ; elle rend hommage à l'une des grandes figures de la musique anglaise, également via la modalité – au tout début des variations surgit presque une réminiscence des Variations sur un thème de Clément Jannequin de Jehan Alain, pour une certaine approche de la musique ancienne bien plus, naturellement, que pour le traitement de la matière musicale et son déploiement. On y devine toute la splendeur des jeux de fonds de la facture anglaise du XIXe siècle, couronnée d'un tutti si différent de celui de l'orgue symphonique français, l'orgue des Quinze-Vingts offrant, on s'en doute, une alternative de choix.
Au Premier Choral de César Franck, remarquable de galbe, de puissance à la fois contenue et épanouie, de liberté et de poésie – le tout harmonieusement registré, à l'instar de l'ensemble du récital – répondit la pièce terminale des redoutables Cinq Méditations sur l'Apocalypse (1972-1973) de Jean Langlais compositeur qui dans ses jeunes années fut un familier des Quinze-Vingts : La Cinquième trompette – page à haut risque très brillamment restituée (non sans le concours d'habiles registrants). Les Variations de concert op. 1 (Leduc, 1908) de Joseph Bonnet, organiste de Saint-Eustache, refermaient ce généreux programme retransmis sur grand écran – où l'on put détailler la fameuse cadence pour les pieds seuls, par moments à deux parties et ponctuée d'accords de trois et quatre notes… La réputation de perfection des organistes britanniques – le programme était sous-titré "So British" – s'accompagne souvent de l'idée implicite, presque un préjugé, de maîtrise façon papier glacé, irréprochable mais privée de fantaisie. Rien de tel chez Simon Johnson, virtuose exemplaire, bien sûr, mais avant tout musicien d'une très élégante sobriété, lyrique et d'un extrême raffinement.
Michel Roubinet
Paris, église Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, 1er octobre 2017
(1) Simon Johnson
www.simonjohnsonmusician.com
(2) Concerts 2017-2018 à Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts
www.saqv.fr/spip.php?rubrique60
(3) The Orgelbüchlein Project
www.orgelbuechlein.co.uk
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