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Sigurd de Reyer au Victoria Hall de Genève - Retour gagnant - Compte-rendu

Authentique opéra dramatique, Sigurd, du marseillais Reyer, connut son heure de gloire après sa création au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles en 1884. Repris à Paris l’année suivante et souvent représenté, il tomba progressivement dans l’oubli après la Seconde Guerre Mondiale. Le directeur du Grand Théâtre de Genève, Tobias Richter, qui avait mis en scène l’œuvre à Montpellier en 1993, a décidé de donner la partition « du petit Wagner de la Canebière », en ouverture de saison dans une version de concert (de plus de deux heures trente) allégée par les coupures opérées par le chef d’orchestre Frédéric Chaslin. On regrette parfois des absences de transition entre les différentes péripéties de l’action, mais d’autres scènes généralement omises sont restituées avec bonheur dans leur intégralité (duo au IVe acte entre Brunehild et Sigurd, d’une délicatesse irréelle).

La similitude immédiatement perceptible de cette saga des Nibelungen avec l’épopée wagnérienne du Ring est, la plupart du temps, trompeuse. Sigurd possède une véritable originalité qui le relie davantage au grand opéra français (celui de Gluck, Berlioz, voire Massenet) et à l’esprit du fantastique cher à Weber (Freischütz, Oberon) avec une orchestration chargée, non dénuée de sens épique et de poésie. La présence des leitmotive ne joue pas le même rôle que chez le Maître de Bayreuth, mais les personnages principaux n’est sont pas mois fermement caractérisés.

La passion, l’énergie que déploie Frédéric Chaslin (photo) à la tête d’un excellent Orchestre de la Suisse Romande et des Chœurs du Grand Théâtre sur la scène du Victoria Hall réclament un contrôle permanent de la dynamique et de la balance sonore. Son expérience en la matière constitue un atout de premier plan. Le plateau vocal témoigne du même engagement, quelquefois au détriment de la diction : la qualité du chant l’emportant sur la compréhension globale. Le rôle-titre de Sigurd est assumé avec vaillance par Andrea Carè un peu tendu dans des aigus périlleux de ténor héroïque. Tijl Faveyts, voix profonde, rend avec beaucoup de prestance la méchanceté de Hagen, tandis que le russe Boris Pinkhasovich, aux moyens superlatifs, un peu en difficulté avec la langue française, impressionne en Gunter par son autorité brutale. Rôle réduit à la portion congrue, celui du Barde magnifiquement défendu par la basse Nicolas Courjal offre un exemple de maîtrise du chant tant sur le plan de la prononciation que de la projection. Du côté féminin, Anne Sophie Duprels en Hilda, sœur du roi, force excessivement l’ampleur de sa voix de soprano lyrique. En revanche, la prestation très dramatique et incarnée d’Anna Caterina Antonacci, Brunehild au style parfait, et l’aisance de Marie-Ange Todorovitch pour une Uta sombre et troublante, emportent l’adhésion, à l’image de cette représentation genevoise à marquer d’une pierre blanche. Une réhabilitation qui s’imposait.

Michel Le Naour

Reyer : Sigurd (version de concert) - Genève, Victoria Hall, 6 octobre 2013

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Photo : Vico Chamla
 

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