Journal

​ Samson et Dalila aux Chorégies d’Orange 2021 — Retour à l’antique — Compte-rendu

 
Aux Chorégies, Roberto Alagna joue à domicile. Et c’est bien un champion que le public ovationne après les trois heures d’un spectacle réjouissant. Depuis 1978, Samson n’avait plus ici résonné. Les rôles-titres étaient alors Plácido Domingo et Elena Obraztsova. La vidéo a aujourd’hui remplacé les décors. Elle est même devenue la marque de fabrique du théâtre antique depuis qu’y sont réalisées les populaires Musiques en fête. Le concept visuel d’Étienne Guiol et Arnaud Pottier reste sobre avec ses références au site de Petra, ses rocailles orangées et sa géologie zoomorphe. Les costumes d’Agostino Arrivabene collent à la tradition. Les Hébreux sont en loques pastel, les Philistins tiennent à la fois des serviteurs crénelés du Mordor et d’un Orient décadent.
 
© Gromelle 

Sur l’immense scène, Jean-Louis Grinda déploie des idées qui font sens. Un enfant aux ailes séraphiques représente l’Éternel guidant Samson. Les suivantes dessinent autour du vieillard hébreu (Nicolas Courjal, au timbre magnifiquement granitique), une vaste étoile de David. On applaudit cette économie de moyens, comme la vasque enflammée à laquelle répondent les volutes introductives du deuxième acte. Suivront une projection d’astres et une lune immense dont les cycles accompagnent Dalila - Astarté. Des procédés qu’on peut trouver basiques, mais fort efficaces à en croire les regards des familles présentes en force à cette générale où nous étions conviés. Au troisième acte, une cascade de peuples ruisselle le long du Mur, écran Majuscule. Autre moment fort, l’ombre portée de Dagon, Minotaure inquiétant. Seul bémol, les chœurs en coulisses restent acoustiquement éloignés, bien que les masses vocales des opéras de Monte-Carlo et du Grand Avignon impressionnent.
 

 © Gromelle

Certes, le Roberto Alagna 2021 n’est plus celui qui grava l’Air de la Meule il y a vingt ans. Quelques centaines de représentations plus tard, le timbre s’est matifié, mais il apporte davantage de failles au personnage. Quelques Lohengrin sont aussi passés par là. Lorsque, soumis par deux immenses chaînes, Samson survole l’austère contrepoint de Saint-Saëns, le roi Alagna nous livre ce que l’opéra a de plus beau, l’émotion au format XXL. Vaillance, engagement et enthousiasme dominent, même si, lors de cette générale, on le sent s’être préservé pour la première.
L’excellence règne au deuxième acte. Le velours profond de Marie-Nicole Lemieux enveloppe le duo vénéneux et offre un mémorable Mon cœur s’ouvre à ta voix. Elle possède, comme Samson, cette si rare qualité de rendre le texte intelligible. L’alliance parfaite d’un couple si luxueux fait pâlir les seconds rôles. Barytons et basses peinent à se différencier. Nicolas Cavallier est un Grand Prêtre bien neutre. L’Abimélech de Julien Véronèse manque de la projection demandée par l’immense conque d’Orange. Les comprimari de Frédéric Caton, Marc Larcher et Christophe Berry ont la même faiblesse.
 
À la tête du Philarmonique de Radio France, Yves Abel opte pour un Saint-Saëns tout en détails. Il contourne le piège d’une musique-péplum et sa Bacchanale est davantage proche de Ravel que d’un orientalisme désuet. La chorégraphie d’Eugénie Andrin équilibre tradition et audace, sans s’épargner l’humour inhérent à l’exotisme désuet de la Troisième République. C’est réjoui que l’on sort de ce spectacle qui ne cherche à torturer son public. Gageons que nous puissions produire un jour, dans ce site pour lequel il fut rêvé, Les Barbares, le somptueux dixième opéra de Saint-Saëns. La statue d’Auguste en serait, comme nous, ravie.
 
Vincent Borel 

Saint-Saëns : Samson et Dalila – Orange, Théâtre antique, 7 juillet (générale) ; unique représentation le 10 juillet 2021 (21h30) // www.choregies.fr/programme--2021-07-10--samson-et-dalila-saint-saens--fr.html
 
Photo © Gromelle
Partager par emailImprimer

Derniers articles