Journal

​« Sainte-Hélène » par Les Lunaisiens, Sabine Devieilhe et les Cuivres Romantiques – L’Empereur et sa légende

« En vérité, jamais homme ne fut adoré comme celui-là, dans l’espérance ou le désespoir, dans les tourments infinis de la fatigue, de la faim et de la soif, au milieu des boues et des neiges, dans la mitraille ou les incendies, dans les exils, dans les prisons, les hôpitaux et parmi les agonies ; adoré quand même, adoré toujours, malgré tout, comme un rédempteur que la corruption du tombeau ne pouvait atteindre, comme une vierge de gloire qui ne pouvait pas mourir. J’ai connu, dans mon enfance des vieux mutilés incapables de le distinguer du Fils de Dieu » : les mots de Léon Bloy dans son Âme de Napoléon (1912) traduisent la fascination exercée par l’Empereur, la puissance de la légende de celui sur lequel, pour paraphraser une formule célèbre à propos de l’auteur de Parsifal, on a le plus écrit après Jésus Christ et avant Richard Wagner.
 
Te souviens-tu  - Emile Debraux, sur un timbre de Joseph-Denis Doche (ext.) 
 
 
La légende telle qu’elle s’est construite

 
Arnaud Marzorati (photo) est au rendez-vous de la commémoration du bicentenaire de la mort de l’Empereur, en compagnie de ses Lunaisiens, avec un passionnant disque : « Sainte-Hélène, la légende napoléonienne ».(1) «Je tenais à commémorer cette date car énormément de chansons ont été écrites sur Napoléon, confie celui qui à travers le programme de son enregistrement a « imaginé la légende de Napoléon telle qu’elle s’est construite à partir de 1821, et même de 1815 quand l’Empereur est déchu. Il y a eu tentative de confiscation de sa mémoire sous le règne de Louis XVIII où l’on craignait la puissance de la chanson. Elle est justement venue alimenter la légende de l’Empereur avec des chansonniers essentiels tel que Béranger et Debraux. » Du premier, il a retenu Le Roi d’Yvetot, Les Souvenirs du Peuple et Sainte-Hélène, tandis que du second le Te Souviens-tu ouvre le programme.

 

Geoffroy Buffière, Dabid Ghilardi et Igor Bouin © Edouard Niqueux

Une arme médiatique
 
Amoureux de l’Histoire sous toutes ses facettes, à mille lieues des anachronismes ridicules et des pitreries déboulonneuses d’une époque ignare et simplificatrice, A. Marzorati s’est bien gardé d’une approche trop univoque de son sujet. « Comme souvent dans mes disques, j’ai aussi voulu prendre un autre chemin en utilisant des chansons du bord opposé » : en l’occurrence des refrains royalistes, particulièrement mordants envers l’aigle corse, tels que La Campagne de Russie ou Les Mérites de Bonaparte . « Si l’on me vante beaucoup/C’est que je suis propre à tout/ Détruire », persifle cette dernière pièce ... 

Les Mérites de Bonaparte — Chansonnier du Royaliste, sur le timbre Jardinier ne vois-tu pas (ext.)

« La chanson, en plus d’être de la littérature, une notion musicale et artistique, c’est avant toute chose une arme médiatique, rappelle le patron des Lunaisiens. On se bagarre à coups de chansons ; encore plus depuis la Révolution française où l’on a pris le goût de pouvoir s’opposer par des timbres. Il me paraissait essentiel de faire comprendre ce qui est au cœur de ce répertoire chansonnier. Je suis d’ailleurs heureux de constater que de plus en plus de personnes ont conscience de la place essentielle de la chanson, que des universitaires, de jeunes doctorants travaillent désormais sur cet univers. » 
 

Les Lunaisiens et les Cuivres Romantiques © Edouard Niqueux
 
La Victoire est à nous - sur l'air de la Caravane du Caire de Grétry, exécuté lors de l'entrée à Moscou en 1812 (ext.)
 
Le souffle et les couleurs uniques des Cuivres Romantiques

 
Pour mener à bien son projet, Marzorati a pu compter sur la complicité de fidèles camarades chanteurs : David Ghilardi, Igor Bouin et Geoffroy Buffière. Et pour donner tout son souffle à l’évocation de la légende napoléonienne, il a aussi fait appel à l’ensemble Les Cuivres Romantiques : « une manière se s’inscrire dans la continuité de ce que je fais dans mes disques, où je recherche des couleurs authentiques – et inhabituelles, rappelle-t-il. Associer des cuivres avec la chanson n’est pas chose courante mais ces instruments correspondent à l’esprit de la période napoléonienne. Nous avons profité de l’opportunité d’un partenariat avec le Musée de la musique pour travailler avec des spécialistes de ce répertoire tels que Jean-Daniel Souchon, Jean-François Madeuf et Pierre-Yves Madeuf. » (2)
 
Parallèlement aux chansons populaires, Marzorati a effet voulu « faire entendre les musiques de circonstance qui rythmaient la marche des troupes durant les batailles. Ceux qui faisaient sonner les instruments étaient parmi les meilleurs solistes de l’Académie de l’Empire. ». Excellence qui était aussi celle de la facture française. Des cors naturels de Lucien-Joseph ou Marcel Auguste Raoux, des trompettes naturelles demi-lune de Courtois frère, etc. retrouvent leur voix grâce aux magnifiques souffleurs des Cuivres Romantiques (2) – dans pages de Buhl et Cherubini, entre autres. On entend même un trombone-buccin, instrument pour lequel Berlioz a prévu une partie dans le Kyrie de sa Messe solennelle.
 
 
Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), détail d'un portrait en pied dessiné par Charlet © Coll. part.
 
Napoléon et Berlioz, deux héros romantiques

Entre Napoléon et l’auteur de la Symphonie fantastique –  mais aussi d’une cantate intitulée « Le Cinq Mai » (1835) – le lien s’établit naturellement et nul ne s’étonne que le Festival Berlioz se soit associé au projet « Sainte-Hélène » des Lunaisiens – ceux-ci se produiront à la Côte-Saint-André l’été prochain. «(...) Héros romantiques, Bonaparte et Berlioz [l’]étaient assurément !, note Bruno Messina, directeur du Festival Berlioz. Et il n’est pas besoin de beaucoup chercher pour déjà les rapprocher : Quel roman que ma vie ! » disait Napoléon, auquel Berlioz répondait par sa déclaration : « Ma vie est un roman qui m’intéresse beaucoup » ! Enfin, pour le plaisir des rapprochements musicaux, on pourrait noter qu’ils eurent toutes les deux de l’admiration pour le même compositeur, Jean-François Lesueur, professeur de Berlioz et auteur de l’opéra favori de Napoléon : Ossian ou Les Bardes. »

 

Sabine Devieilhe et Daniel Isoir © Edouard Niqueux
 
Les Souvenirs du Peuple - P.-J. de Béranger, sur le timbre Passez votre chemin (ext.)

Du féminin dans une histoire tellement masculine

Chansons d’estaminet et de caveau, musiques militaires : « il me paraissait important d’amener du féminin dans cette histoire tellement masculine, confie Arnaud Marzorati. Grâce à la disponibilité qui était la sienne l’an passé, Sabine Devieilhe a trouvé le temps de répondre à mon invitation pour prendre part au projet « Sainte-Hélène». Sabine, comme moi, est plutôt issue de la musique baroque, même si nous abordons bien d’autres répertoires, et nous aimons nous interroger sur les musiques du passé ; il n’y a pas de petite musique pour nous. »
Accompagnée par Daniel Isoir – qui joue un Erard de 1802 conservé au Musée de la musique – pour le versant « romance » du programme, la soprano n’est pas le moindre atout du disque, profondément charmeuse dans une page « de style troubadour », comme la qualifie A. Marzorati, telle que les Adieux d’une Mère à son fils (pièce mise en musique par Hortense de Beauharnais) ou admirable diseuse dans les si évocateurs Souvenirs du Peuple de Béranger – « On parlera de sa gloire / Sous le chaume bien longtemps ... »
 

Sainte-Hélène — P.-J. de Béranger, sur le timbre La République (ext.)

A Pierre-Jean de Béranger, auteur cher au cœur d’Arnaud Marzorati s’il en est (3), revient la conclusion : Sainte-Hélène, chanson servie par le quatuor vocal et les cuivres, unis dans un bel arrangement signé Maxime Aulio. Saisissant point d’orgue à un splendide enregistrement qui comblera les amoureux de musique et d’Histoire.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Arnaud Marzorati réalisé le 23 avril 2021)

Site des Lunaisiens : www.leslunaisiens.fr/accueil
Site des Cuivres Romantiques : www.cuivresromantiques.com/

(1) 1 CD Muso – mu-044
 
(2) On s’en voudrait de ne pas citer en totalité les membres des Cuivres Romantiques : Jean-François Madeuf, Jean-Daniel Souchon, Florian Léard, Laurent Gentil, Pierre-Yves Madeuf, Cyrille Grenot, Lionel Renoux, Laurent Madeuf et Marie-Ange Petit (percussions).
Signalons aussi la présence aux côtés des Lunaisiens de Patrick Wibart (serpent) et Laurent Madeuf (orgue de barbarie)
 
(3) On se souvient qu’Arnaud Marzorati a signé, accompagné par Yves Rechsteiner et Freddy Eichelberger, une remarquable anthologie Béranger : « Le Pape musulman & autres chansons » (1 CD Alpha 131)
 
Photo © Jean-Baptiste Millot

Partager par emailImprimer

Derniers articles