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« Saint-Saëns, un esprit libre » (exposition et livre Bnf/Opéra de Paris) – Pour l'amour de l'art – Compte-rendu

La voici enfin ! Initialement annoncée sur la période mars-juin, puis repoussée en raison du contexte sanitaire, l’exposition de la Bibliothèque nationale de France et de l’Opéra national de Paris pour le centenaire de la disparition de Camille Saint-Saëns vient de s’ouvrir, et pour une durée plus longue que celle initialement prévue puisqu'elle se prolongera jusqu'au 10 octobre.
Vaste sujet que celui auquel Marie-Gabrielle Soret, conservateur au département de musique de la BnF, s’est attelée en prenant en charge le commissariat de l’événement qu’accueille la Bibliothèque-Musée de l’Opéra. Cette grande spécialiste du compositeur français ne fait pas mystère des arbitrages parfois cruels auxquels elle a été confrontée lorsqu’il lui a fallu choisir parmi une impressionnante masse de documents (conservés pour l’essentiel à la BnF ou par la Ville de Dieppe) les quelques 200 pièces nécessaires à la réalisation de son entreprise.
 
© Ville de Dieppe - Bertrand Legros
Camille Saint-Saëns, vers 1860. Par Charles-Camille Chazal. Musée de Dieppe © Ville de Dieppe - Bertrand Legros
 
Si un tout petit nombre d’opus ont fait la célébrité universelle de son nom, Saint-Saëns demeure sous bien des aspects méconnu, ou en tout cas victime d’idées reçues et tout l’intérêt de l’exposition « Saint-Saëns, un esprit libre » est d’offrir un aperçu complet de l’artiste et de sa longue existence (1835-1921). Celle d’un surdoué d’une précocité extrême – on le compara au petit Mozart – qui a mené de front une carrière de compositeur, de pianiste virtuose, d’organiste et porté haut l'étendard de la musique française partout dans le monde.

De ce musicien formé à l’école pianistique de Stamaty, encouragé par Berlioz, par Pauline Viardot, par Gounod, l’exposition montre comment il a trouvé sa place au centre de la vie musicale française et comment, avec la fondation en février 1871 de la Société Nationale de Musique (que Saint-Saëns coprésidait avec Romain Bussine), il aura été l’un des acteurs majeurs de l’essor de la musique instrumentale en France au lendemain de la défaite de Sedan.

Passion des voyages ... Saint-Saëns en Oriental. Caricature par Georges Clairin. Dessin aquarellé © Ville de Dieppe - Bertrand Legros

D’une curiosité insatiable, passionné par les sciences, de la botanique à l’astronomie en passant par la vulcanologie, il fut aussi un infatigable voyageur en quête d’horizons lointains et de climats propices à sa santé (il était tuberculeux) vers lesquels il aimait à fuir lorsque la mauvaise saison arrivait à Paris. Ce goût de l’ailleurs, de l’exotisme n’a d’ailleurs pas manqué de trouver des échos dans bien des partitions – avec un art de la couleur, une audace dans le maniement des timbres qui font une bonne part de la modernité de son langage. « Saint-Saëns, un esprit libre » ne manque pas de le rappeler et de l’illustrer avec, par exemple, le manuscrit de la fantaisie pour piano et orchestre Africa – pièce d’une diabolique difficulté ! Mais les voyages furent aussi autres que d’agrément, et divers documents montrent l’étendue du réseau international qu’a tissé l’auteur de Samson et Dalila au fil ans et de ses nombreuses tournées.
 
Bien qu’installée à Garnier, l’exposition se garde de n’envisager Saint-Saëns que sous l’angle lyrique ou d’accorder une place trop développée à cet aspect d’une production d’une diversité étonnante (on y trouve par exemple la première musique écrite pour le cinéma). Reste que les rapports de l’artiste avec la scène lyrique sont traités au terme du parcours imaginé par Marie-Gabrielle Soret. Rapports qui ne furent pas simples (tant en raison des livrets retenus, d’un style musical qui pouvait surprendre en période de déferlante wagnérienne, des relations souvent tendues du compositeur avec les directeurs de théâtre et de l’accueil de la critique) et qui explique en partie pourquoi, hormis Samson et Dalila (créé à Weimar en 1877 et entré l’Opéra de Paris en 1892 seulement), cet aspect de l’œuvre de Saint-Saëns demeure très mal connu, même si des enregistrements récents (tels que celui du Timbre d’argent sous la baguette de François-Xavier Roth ou d’Ascanio sous celle de Guillaume Tourniaire) remédient un peu à cette situation.
 

Une exposition peut cacher un livre ! «Saint-Saëns, un esprit libre» est aussi le titre du bel ouvrage qui sort en parallèle et nous offre bien plus qu’un catalogue d’exposition. Coordonné par Marie-Gabrielle Soret, ce travail collectif, richement illustré, rassemble des contributions remarquablement informées, signées Fabien Guilloux, Catherine Massip, Denis Tchorek, Michael Stegemann, Elisabeth Giuliani, Denis Herlin, Nicolas Dufetel, Stéphane Leteuré, Sarah Barbedette, Mathias Auclair et Benoît Cailmail.
C’est là un prolongement idéal évidemment à la visite de l’exposition, mais aussi une publication parfaitement autonome et utile ô combien ! à ceux qui veulent mieux cerner celui qui affirmait : « [...] Ce que j’aime, c’est l’art. Je suis un éclectique. C’est peut-être un grand défaut, mais il m’est impossible de m’en corriger : on ne peut refaire sa nature. De plus, j’aime passionnément la liberté, et ne puis souffrir qu’on m’impose des admirations. »
 
Alain Cochard
 
« Saint-Saëns, un esprit libre »
BnF - Bibliothèque-musée de l’Opéra
Palais Garnier (entrée angle des rues Scribe et Auber)
Jusqu’au 10 octobre 2021 – De 10h à 17h (entrée 14€, TR 10€, gratuit – 12 ans)
 
« Saint-Saëns, un esprit libre »
BnF Editions (192 p. / 39 €)
 

Photo (Portrait de Camille Saint-Saëns, vers 1870-1880, photographie, Bnf, Bibliothèque-Musée de l'Opéra) © BnF
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