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Saint-Etienne - Compte-rendu : Le Roi d’Ys, vive la musique de Lalo !

Alors que Le Roi d’Ys a aujourd’hui déserté les scènes lyriques françaises, on a peine à imaginer ce qu’a représenté le chef-d’œuvre d’Edouard Lalo jusque dans la seconde moitié du siècle dernier. Achevé en 1880, mais créé seulement huit ans plus tard, Le Roi d’Ys fut longtemps considéré comme l’une des pièces maîtresses de l’Opéra Comique, au côté de Carmen, de Werther et de Pelléas et Mélisande. Il réunissait, en effet, les faveurs du public et des critiques de l’époque. Il entra même au répertoire du Palais Garnier sous l’ère Rouché aux heures sombres de 1941.

Mais il a suffi d’entendre l’ouverture, seule page de la partition à avoir survécu au naufrage de l’œuvre sous forme de lever de rideau aux concerts symphoniques d’il y a un quart de siècle, pour être sous le charme de Lalo et lui restituer sa vraie place : le chant du violoncelle et de la clarinette, l’éclat des cors (bravo aux solistes !) ont été plus efficaces que Saint Corentin… Cela, on le doit à l’Orchestre de Saint Etienne auquel son jeune patron Laurent Campellone a su insuffler confiance et enthousiasme. Voilà un chef lyrique à suivre ! Mais pas seulement, car Lalo reste, jusque dans l’opéra, un symphoniste majeur de l’école française et Campellone tient ses troupes d’une main infaillible.

Dieu merci, les années ont dissipé les soupçons de wagnérisme, que la légende bretonnante qui tient lieu de livret n’avait fait qu’amplifier. Bien sûr que Lalo a entendu l’homme de Bayreuth, mais pour en faire son miel après une digestion bien tempérée. Il en a retenu sans doute l’ampleur des deux voix féminines, Rozenn, le blond soprano, et Margared, la sombre mezzo. Mais les hommes ont les caractéristiques vocales et le format des héros de Gounod et de Massenet. Par bonheur, la distribution réunie à Saint Etienne était à la hauteur. Ainsi de l’excellente Rozenn de Nathalie Manfrino qui prouve ici que les concours de Toulouse comme des Voix Nouvelles servent à quelque chose. La Géorgienne Nona Javakhidze ne domine pas toujours le passage d’un registre à l’autre, mais jamais au détriment de la crédibilité du personnage ambigu et écrasant de Margared.

Christian Tréguier campe un Roi d’Ys parfait de style et de musicalité ennoblissant, comme à son habitude, tout ce qu’il touche. A juste 30 ans, le ténor Florian Laconi a la jeunesse, l’élan et la vaillance du jeune premier qu’est le personnage de Mylio. A l’opposé, le méchant Karnac du baryton Olivier Grand assume avec panache le mauvais rôle : il a la voix et le physique. Il ne lui reste plus qu’à apprendre à jouer. L’ensemble de la distribution et les chœurs stéphanois savent être au diapason.

Que ce Roi d’Ys soit un drame noir, confinant parfois par la faute du librettiste Edouard Blau au Grand Guignol, ne justifie pas de l’enfermer dans une prison d’anthracite qui colore jusqu’aux costumes souvent très élégants de Frédéric Pineau. Le granit breton sait prendre le soleil quand il n’essuie pas de tempête… Nul doute que l’usage de projections aurait facilité la tâche à Jean-Louis Pichon qui y a d’ailleurs recouru à l’extrême fin. Les possibilités de cette technique visuelle auraient permis de rappeler l’amitié qui liait Lalo et un certain Delacroix, peintre des tempêtes romantiques.

L’essentiel est que la musique de Lalo revive enfin grâce à cette coproduction entre l’Opéra de Wallonie et celui de Saint Etienne.

Jacques Doucelin

Dernière à l’Opéra Théâtre de Saint Etienne, mardi 6 mars, 20h. Tél : 04.77.47.83.40 operatheatre@saint-etienne.fr - www.saint-etienne.fr

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Photo : Cyrille Sabatier.

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