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Ruth Reinhardt fait ses débuts français à l’Orchestre national d’Île-de France – Cheffe à suivre !

La première saison de Case Scaglione à l’Orchestre national d’Île-de-France s’est ouverte en beauté en octobre avec un splendide programme wagnérien. En attendant le retour du directeur musical en janvier pour une série beethovénienne avec le pianiste Federico Colli, plusieurs chefs invités se succèdent à la tête de la phalange francilienne. Après Tito Muñoz et son saisissant Sacre du Printemps, on a eu le bonheur de faire la découverte de Ruth Reinhardt (photo), jeune cheffe d’origine allemande qui, d’abord formée dans son pays natal et en Suisse, a par la suite étudié auprès d’Alan Gilbert à la Juilliard School (elle a également bénéficié du soutien de Marin Alsop).  «Conducting fellow » à Boston et Seattle en 2015-2016, « Dudamel fellow » à Los Angeles en 2017-2018, assistante de Jaap van Zweden au Dallas Symphony de 2016 et 2018, l’artiste connaît un bel envol outre-Atlantique, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Succès amplement mérité ! On se réjouit que la France, grâce à l’Ondif, puisse pour la toute première fois juger de ses qualités.
 
Ruth Reinhardt © Harrison Circey

Datée de 1951, la rare Petit Suite pour orchestre de chambre de Lutoslawski ouvre la soirée : la prestesse, la saveur et la vitalité avec lesquelles Reinhardt emporte cette brève partition imprégnée de musique populaire séduisent immédiatement. Excellente mise en jambe pour les instrumentistes franciliens avant que Diana Tishchenko ne les rejoigne pour le Concerto n° 5 de Mozart.

Premier Grand Prix du Concours Long-Thibaud 2018, la violoniste ukrainienne s’installe non pas devant l’orchestre mais au cœur de celui-ci et, en parfait accord avec la cheffe, défend une conception vivante et très chambriste, servie par une sonorité très pure (on regrette toutefois quelques petits défauts d’intonation ici ou là). Tendre et secret, l’Adagio constitue le temps fort d’une interprétation où l’on n’apprécie pas moins le tempo point trop précipité du Rondeau conclusif. Au bel accueil du public, la soliste et l’orchestre répondent par un bis généreux : Otoño Porteño de Piazzolla, qui permet aussi à Natacha Colmez-Collard, premier violoncelle solo, de se distinguer.

Si les Danses concertantes (1941-1942) de Stravinski ont été popularisées par le ballet qu’elles inspirèrent à Balanchine en 1944, elles sont toutefois nées indépendamment de tout projet chorégraphique et s’inscrivent dans l’esprit du concerto grosso (à l’instar du Dumbarton Oaks Concerto, de 1938). Ruth Reinhardt tire parti avec un art consommé des jeux de timbres de cette partition trop négligée ; elle sait y impliquer ses musiciens pour un résultat plein de relief, de charme, et d’esprit. Avec un charisme souriant et une gestique aussi précise que souple et suggestive, l’artiste embarque enfin ses troupes dans un jubilatoire Bœuf sur le toit de Milhaud, débordant de couleurs, d’images et d’un tonus rythmique irrésistible.
Vifs applaudissements, dont ceux de l’orchestre (il est des signes qui ne trompent pas ...), et nombreux rappels pour les débuts français d'une jeune baguette qu’il faudra suivre de très près !

Prochaine série de l’Ondif du 13 au 22 décembre avec Joshua Weilerstein et Paul Meyer dans des pages de Britten, Mozart, Pärt et Elgar.
 
Alain Cochard

Paris, Cité de la musique, Salle des Concerts, 3 décembre 2019  // www.orchestre-ile.com/
 
Photo © Jessica Schaefer
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