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Robert Trevino et l’Orchestre Symphonique d’Euskadi – En plein élan – Compte-rendu

Une soirée revigorante avec cette solide phalange, qui enjambe les frontières, et depuis sa création en 1982, constitue une des forces vives du pays basque : une formation discrète, que l’on a surtout découverte à Paris avec le support qu’elle constitue pour les grandes créations chorégraphiques de Thierry Malandain à l’Opéra de Versailles, notamment en 2019 pour Marie-Antoinette. Et sert de point de fusion avec d’autres formations basques, comme l’Orfeón Donostierra et l’Orfeón Pamplonés. Une salle conquise d’avance, peut-être, et qui ne déméritait pas de l’être a posteriori ! Car le programme, riche de contrastes, permettait un bel aperçu des moyens et des couleurs de l’orchestre : de Ravel, dont les parisiens ont été privés avec plusieurs des représentations de l’Enfant et les Sortilèges prévues à l’Opéra et avalées par le Léviathan des grèves, à Mahler pour faire ressortir la complexité d’une écriture aussi pointue que touffue.

Et surtout, si tant est qu’il se soit jamais endormi, l’orchestre a de quoi se réveiller avec le chef qu’on lui a donné depuis 2017, l’Américain Robert Trevino (photo, né en 1984), disciple de David Zinman, chouchouté par James Levine et mis en selle par un prix au Concours Evgeny Svetlanov il y a dix ans. Un décoiffant meneur d’hommes, typique de la génération des Nézet-Seguin et Heras-Casado, à l’oreille formidablement analytique et à la dynamique irrépressible.

Dire que pour Ravel l’on aurait aimé un peu plus de poésie langoureuse dans la Rapsodie espagnole, un peu plus de mystère dans La Valse, et pour Mahler un peu plus d’angoisse dans le Chant de la Terre, serait vétilleux, car la musique sonnait si claire et franche qu’on ne pouvait qu’être emporté, et admirer particulièrement la qualité des pupitres de flûte et hautbois, lumineux. Donc, une Rapsodie espagnole démarrée avec quelques problèmes d’unisson à force de vouloir faire tout entendre mais trouvant très vite son rythme, pétaradant, coloré, capable de réveiller un mort, tandis que La Valse, ensuite, montrait l’aptitude de l’orchestre à se déchaîner dans la course la plus folle.

Pour Le Chant de la Terre, la seule ombre à ce tableau lunaire fut la voix stridente d’un heldentenor fatigué, l’Américain Corby Welch, tandis que sa partenaire, la mezzo Jennifer Johnston déployait heureusement comme une grande voile la largeur et la beauté d’un timbre qui épousait en profondeur les douleurs mahlériennes, plus que leur élévation vers une issue infinie. Le chef l’a soutenue dans cette immense avancée qu’est le lied final, Der Abschied, comme un bâton de pèlerin scandant chaque pas, menant l’orchestre à un engagement sans relâche, avec des nuances subtiles un peu atténuées par sa battue sans hésitations, car on ne décèle aucun doute dans cette gestique sans faille. Comme quoi on peut avoir du souffle et manquer un peu de respiration. Le public, lui a fortement manifesté sa joie, au point de susciter une deuxième exécution de La Valse, comme un tourbillon final.

Jacqueline Thuilleux

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 25 janvier 2020

Photo © robert-trevino.com

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