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Renée Fleming en récital avec Philippe Jordan au Palais Garnier - Touché par la grâce – Compte-rendu

Renée Fleming est une star, une diva qui malgré certains écarts s'est maintenue tout au long de sa carrière au plus haut niveau. Sans doute moins présente à l’avenir sur scène, le concert et le récital lui permettront d'entretenir une relation privilégiée avec son public pendant de longues années encore. Comme on aura pu le constater, la soprano était très attendue pour son retour à Paris en récital, avec un accompagnateur inhabituel : Philippe Jordan.

Peu rompu à cet exercice et pourtant très à l'aise – ils ont joué pour la première fois ensemble il y a un an à Palm Spring – Jordan semble avoir trouvé d'instinct comment servir au mieux la musique et sertir la voix aux accents miroitants de la cantatrice américaine. A la fois discret mais extrêmement présent, son jeu limpide et ondoyant a merveilleusement mis en valeur une lecture très fouillée du cycle Frauenliebe und Leben, abordé par Fleming avec une tendresse et une émotion palpables dès les premières mesures. Le timbre, qui a gardé sa rondeur et ses chaudes tonalités, évolue avec grâce au gré de ces morceaux où surgit d'une phrase à l'autre une gamme infinie de sensations allant de la plus anodine à la plus intime.

Les interprètes se retrouvaient « chez eux » après cette escapade schumanienne avec une sélection de cinq lieder de Strauss (on se souvient de leur très belle interprétation d'Arabella à la Bastille en 2012) dont ils respirent la musique et ressentent les moindres frémissements. Transparente et subtilement modelée, la voix de la cantatrice s'est pliée sans contrainte aux harmonies, aux sonorités et aux expressions trouvées par le compositeur à partir de poèmes de Heine, Falke ou Goethe, atteignant des sommets d'intensité dans « Allerseelen » et son déchirant «Wie einst in Mai ».
 
Hommage à Henri Dutilleux, Le Temps l'horloge (composé à l’intention de R. Fleming entre 2002 et 2007), débutait la seconde partie. Déjà donnée en 2009 au TCE avec Seiji Ozawa à la baguette, cette œuvre pour soprano solo et orchestre sur des poèmes de Tardieu, Desnos et Baudelaire était proposée dans une version avec piano particulièrement réussie. Chanté dans un français chatoyant, ce cycle rare et raffiné d'un auteur qui aura peu écrit pour la voix, a montré de quelle manière sa destinataire avait su assimiler une écriture faite de rupture, de pulsation et d'une profusion de rythmes qui ne pouvaient que satisfaire une adepte du jazz.
 
Une sélection très pointue de mélodies de Rachmaninov, servie par deux musiciens enthousiastes évoluant dans les mêmes sphères, concluait cet étincelant programme. Face à une salle comble et comblée, Renée Fleming est revenue à quatre reprises, d'abord avec un « Porgi amor » élégiaque, tenu archet à la corde, en souvenir de sa première apparition in loco il y a vingt-cinq ans, suivi par un langoureux « Summertime » puis par un voluptueux « Babbino caro », avant de s'éclipser après un « Morgen » touché par la grâce, que l'on aurait aimé suspendu pour toujours.
 
François Lesueur

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Paris, Palais Garnier, 27 mars 2016
 
Photo © Andrew Eccles

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