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Prades : La Musique de chambre, encore et toujours

Né en 1950, le Festival Pablo Casals de Prades est l'un des plus anciens de France, l'un des plus célèbres aussi - et ce très au-delà des limites de l'hexagone. Chaque soir quinze jours durant, la magnifique Abbaye Saint-Michel de Cuxa accueille un concert (1). Un lieu inspiré pour un festival qui cultive avec ferveur la musique de chambre grâce à une équipe d'amis musiciens de très haut niveau.

Depuis un peu plus d'une vingtaine d'années, le clarinettiste Michel Lethiec assure la direction artistique du festival. Lorsqu'il en prend les rênes, les concerts sont moins nombreux qu'à l'époque de Casals (décédé en 1973) mais la manifestation conserve néanmoins un nom formidable. Fort de cet héritage, Michel Lethiec "a voulu revenir tout de suite à ce qui se faisait à l'époque de Casals : que les musiciens restent sur place pendant la durée du festival et que l'on se consacre entièrement à la musique de chambre".

Aidé par Leonard Rose au départ, puis par Arto Noras - fidèle à Prades depuis deux décennies -, Michel Lethiec oriente son action sur deux point essentiels. Il cherche d'abord à rapprocher le Festival de l'Académie Européenne de Musique de chambre (qu'il a fondée au milieu des années 1970 avec sa femme Françoise). " Dans les années qui ont suivi sa création, se souvient-il, l'Académie menait une vie parallèle au Festival et avait peu de choses en commun avec lui." Aujourd'hui le rapprochement qui s'est opéré permet d'associer des étudiants à certains concerts ou de proposer une série de concerts des étudiants et Prades, selon son directeur artistique, "se rapproche un peu d'un festival-académie tel que le Festival de Marlboro aux Etats-Unis."

Seconde priorité de Michel Lethiec lors de son arrivée à la tête du festival :"retravailler le répertoire et offrir à côté du grand répertoire une place honorable à la musique contemporaine". Six compositeurs (Matsumura, Penderecki, Sallinen, Halffter, Senderovas et Dalbavie) pour cinq créations françaises et une mondiale : le Festival 2005 prouve que le pari a été tenu là aussi et que, parallèlement à ce renforcement de la présence de la musique d'aujourd'hui, Prades a su accroître et fidéliser son public (on totalise entre 9000 et 10000 entrées sur un total d'une quarantaine de concerts - ceux des étudiants inclus). Prades a aujourd'hui trouvé sa "vitesse de croisière" de l'avis de Michel Lethiec et c'est sur "l'efficacité, le renforcement des moyens" que ce dernier entend à présent orienter son action. "J'aimerais par exemple pouvoir financer la venue à l'Académie d'étudiants vénézuéliens ou portoricains qui n'en ont pas les moyens", confie-t-il avec une nuance de regret…

Pendant l'année en revanche, Prades peut prendre des initiatives de ce genre au sein de l'ECMA (European Chamber Music Academy). Cette organisation, explique Michel Lethiec, "réunit la Hochschule de Hanovre, le Festival de Khumo ( Finlande) , celui de Fiesole, l'Université de Zurich et le Conservatoire de Vienne. Après sélection, une dizaine d'ensembles de musique de chambre sont invités à participer à des sessions gratuites avec de grands professeurs chez les différents membres de l'ECMA."

C'est là un moyen pour Prades de renforcer une audience et une image qui ont beaucoup profité aussi de la formule des "Prades à…". Lancé il y a quatorze ans, "Prades aux Champs Elysées" est bien connu du mélomane(2). Mais sait-on qu'un "Prades à Tokyo" avait précédé en 1990 et qu'après New-York, Jérusalem, Sao Paolo, Porto Rico, la Finlande, l'Angleterre, les Pays Bas, Monte Carlo, Barcelone ou la Corée, Prades sera à Shangaï du 10 au 16 novembre puis de retour à Porto Rico du 12 au 18 décembre 2005 ?

Amour de la musique de chambre et esprit de famille sont les ingrédients du succès de Prades, il n'est que de venir goûter à quelques concerts pour le comprendre. De la 54ème édition, nous garderons pour notre part longtemps à l'esprit l'engagement et le bonheur gourmand avec lesquels David Grimal, Erika Raum, Paul Coletti, Arto Noras, Niek de Groot, Michel Lethiec, André Cazalet et Amaury Wallez se sont emparés de l'Octuor pour cordes et vents de Schubert. La soirée était d'ailleurs entièrement dédiée au compositeur autrichien et auparavant Jean-Claude Pennetier et Christian Ivaldi nous avaient ouvert l'appétit avec les Variations à quatre mains D. 813, menées dans une entente parfaite, puis Benoît Fromanger et J.C.Pennetier avec des Variations pour flûte sur "Trockene Blumen" D. 802, ludiques et tendres à souhait.

Prades est l'occasion de rencontres merveilleuses entre des instrumentistes qui ne collaborent pas forcément de façon régulière le reste du temps. A David Grimal et à Christian Ivaldi l'on a ainsi envie de dire : poursuivez dans la voie tracée par une miraculeuse interprétation de la Sonate pour violon et piano de Ravel et n'hésitez pas à la confier au disque ! Ce bijou de pureté et de poésie a d'autant plus bouleversé l'auditeur qu'il s'insérait dans un programme contrasté et très souriant, avec des références au tango et au jazz.

Un tango de Patrick Michel conduit avec autant de sensualité que de brio par la contrebasse de Niek de Groot, une Revue de cuisine de Martinu assaisonnée avec une contagieuse bonne humeur par Mireia Farrès, Michel Lethiec, Amaury Wallez, Erika Raum, David Geringas et Jeremy Menuhin et enfin un suite pour clarinette et quintette à cordes sur Porgy and Bess emportée dans une irrésistible ivresse par M. Lethiec, le Fine Arts Quartet et Niek de Groot composaient en effet le reste du menu d'un concert à l'unisson du thème de Prades 2005 : "Tradition et contrastes". On en trouvait une autre belle illustration lors d'une soirée de trios où la fluidité et l'amour des timbres du Trio pour violon, cor et piano de Marc-André Dalbavie, interprété avec autant de précision que de sensibilité par David Grimal, André Cazalet et Christian Ivaldi, voisinait Bach/Mozart (Préludes et Fugues KV 404a), Haydn (Trio "A la Hongroise") et Brahms (Trio pour violon, cor et piano, op 40). André Cazalet à nouveau, mais aussi Hagaï Shaham, et Veronique Bogaerts, David Raiskin, Marc Coppey et Yvan Chiffoleau, Jeremy Menuhin et Jean-Claude Vanden-Eynden ont tous offert là une belle leçon d'écoute mutuelle. A Prades, on prend le temps de se retrouver… Et cela s'entend !

Alain Cochard

(1) Ce à quoi s'ajoutent les concerts de 18h dans des lieux tels que l'église de Mosset ou celle d'Olette par exemple.
(2) Le prochain "Prades aux Champs-Elysées" sera consacré à Mozart et se déroulera les 18, 20 et 21 janvier 2006

Festival de Prades. Les 10 et 11 août 2005. Photo : Raymond Roig
 

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