Journal

Prades - Compte-rendu : Moments d’exception

quatuor talich 2014 prades

« Chacun est différent et chacun doit appliquer à son travail les élans et les impulsions profondes de sa nature ». On ne saurait imaginer meilleure illustration du conseil de Pablo Casals que la soirée qui rassemblait les Quatuors Artis et Talich (photo) à l’Abbaye Saint-Michel de Cuixa – transformée chaque été en haut lieu de la musique de chambre grâce au Festival de Prades.

A la formation viennoise revient d’ouvrir la soirée, avec Mozart. Forcément, a-t-on envie d’écrire tant la relation avec l’auteur de Don Giovanni de ces instrumentistes magnifiques – et sans doute pas appréciés exactement à leur juste valeur en France – respire l’évidence. Sous leurs archets, le Quatuor en sol majeur KV 387 manifeste une admirable pureté du dessin. Pas un détail n’échappe à l’oreille, mais l’approche ne présente pour autant rien de froid, d’analytique ou de maniéré. Bien au contraire, le propos se révèle à la fois tendre, poétique (inoubliable Andante cantabile où les timbres des quatre musiciens s’accordent toujours au cheminement harmonique du morceau), spirituel aussi, et partant s’inscrit dans l’esprit de l’hommage que ce quatuor rend à Joseph Haydn, tout comme les cinq qui le suivent.

Sans transition, les Artis passent du XVIIIe au XXe siècle avec le Quatuor n°8 op 110 de Chostakovitch. Pour des oreilles accoutumées aux interprétations de grands quatuors russes, celle des musiciens viennois a pu sembler gommer un peu du caractère slave de l’ouvrage. Elle ne fait en revanche rien perdre de sa force à une musique longtemps présentée par les commentaires officiels comme une dénonciation du fascisme et qui, on le sait aujourd’hui, se caractérise d’abord par sa profonde subjectivité. L’intensité du jeu des musiciens viennois fascine de bout en bout. Sans jamais rien surligner, ils révèlent le dramatisme, d’ampleur symphonique parfois, et l’amertume de l’ouvrage, en ne perdant pas un instant de vue de la dette de Chostakovitch à l’égard de Beethoven.

Dvorak et son Quatuor n°12 « Américain » referment la soirée sous les archets des Talich. L’approche n’est pas moins originale que celle des Artis avec Chostakovitch. Là où d’autres – option parfaitement défendable – cultivent un discours très énergique et des couleurs franches, la formation tchèque livre un Quatuor en fa majeur dans la demi-teinte, avec des tempi plutôt retenus. Et c’est d’abord la profonde nostalgie du compositeur éloignée de sa terre natale qui s’exhale, avec une rare poésie.

Le concert Bach-Messiaen du lendemain était d’abord l’occasion pour le Festival de Prades de célébrer le millénaire de l’élection de l’abbé Oliva par les moines de Cuixa, mais aussi de revenir aux origines d’un festival dont la première édition, en 1950, fut un entièrement dédiée à Bach. Vincent Lucas, Olivier Charlier, Philippe Muller et Natsuko Inoue sont venus le rappeler en début de soirée avec trois extraits de l’Offrande Musicale, interprétés avec franchise et luminosité.

Le silence qui suit l’exécution d’un ouvrage en dit long sur l’expérience que le public vient de vivre. Celui d’un auditoire littéralement pétrifié par la beauté du Quatuor pour la fin du Temps était certainement le plus beau compliment que l’on pouvait adresser à Michel Lethiec, Mihaela Martin, Arto Noras et Itamar Golan. En parfait accord avec l’architecture dépouillée d’un lieu habité, leur interprétation alliait un fini exceptionnel à une poésie et une hauteur de vue, une quête d’absolu qui, dépassant l’inspiration religieuse de l’ouvrage, parlaient à chaque cœur, quelles que soient ses convictions.

Bien des concerts sont encore à déguster dans le cadre d’une manifestation qui se prolonge jusqu’au 13 août. Et si vous n’avez pas la possibilité de vous rendre au pied du Mont Canigou, notez dès à présent que le prochain Prades aux Champs-Elysées se déroulera les 21, 23 et 24 janvier 2009 dans la salle de l’avenue Montaigne.

Alain Cochard

Festival de Prades, les 1er et 2 août 2008

Les autres comptes-rendus d’Alain Cochard

Tous les festivals

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles