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Pour les beaux yeux de Mathilde d’Edwin Baudo en création au Théâtre de Caen – L’opéra du millénaire

 

En cette année 2025 qui voit la ville de Caen célébrer son millénaire, toutes les occasions de faire la fête, de manière grandiose et populaire, ne manquent pas : une parade opératique, un week-end maritime, une fresque monumentale sur les remparts du château, des projets art-science et … un opéra pour enfants spécialement écrit pour la circonstance ! Il était en effet inimaginable que le théâtre de Caen ne participe pas activement à cet événement. Inimaginable aussi que de jeunes chanteurs, garçons et filles, n’en soient pas les acteurs principaux. Musicalement, Caen brille depuis longtemps par sa Maîtrise, fruit d’un partenariat entre l’Éducation nationale, le Conservatoire & Orchestre de Caen et le théâtre de Caen. Patrick Foll, le directeur du théâtre, a donc passé commande d’un spectacle musical à Edwin Baudo (musique) et Hervé Mestron (livret). C’est la tradition à Caen : la saison du théâtre s’achève par une création.
 
Des libertés et du panache

Pour les beaux yeux de Mathilde s’inspire de la vie de l’épouse de Guillaume le Conquérant. Si le livret prend quelques libertés (assumées) avec la chronologie, il retrace avec panache les aventures de Guillaume de son départ de Normandie jusqu’à la bataille d’Hastings et le destin de Mathilde, épouse aimante et femme moderne avant l’heure qui présida aux destinées de la Normandie durant l’absence de son duc de mari devenu roi.
 

Edwin Baudo © edwinbaudo.com

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Références au passé mais point de pastiche

Chef de chœur associé au Chœur d’Enfants et au Chœur de Jeunes de l’Orchestre de Paris-Philharmonie de Paris, Edwin Baudo ne cache pas son amour pour les grandes tragédies lyriques françaises, pour les opéras de Monteverdi et de Cavalli et pour les masques de Purcell. Sa musique s’inspire de toutes ces sources par la composition de l’orchestre (cordes baroques, théorbe, sacqueboute, flûtes à bec, harpe…), par la forme (chaconne, ground, danses), par le style (ouverture pointée à la française) et quelques agréments vocaux (port de voix notamment). Pourtant l’écriture ne relève absolument pas du pastiche et est résolument contemporaine. Les voix des enfants sont très sollicitées, pas tant par l’ambitus de la partition que par la forme souvent déclamatoire des soli. A ce jeu difficile, la jeune chanteuse qui incarne Mathilde, élève en classe de chant au conservatoire de Caen, tire son épingle du jeu par une qualité vocale indéniable et une belle prestance scénique. Le spectacle alterne dialogues parlées et parties chantées (le plus souvent). Visiblement, Edwin Baudo a pris beaucoup de plaisir à écrire pour les ensembles vocaux, en petite ou grande formation, pour les chanteurs de la Maîtrise et de la Scuola (chœur de filles) présents sur le plateau et pour les pré-maîtrisiens installés en semi-chorus au balcon, à jardin et cour. Le compositeur a d’ailleurs poussé ce plaisir jusqu’à écrire quatre chœurs participatifs.
Dans la fosse, Camille Bourrouillou, la nouvelle directrice de la Maîtrise de Caen, dirige avec enthousiasme et précision une petite formation instrumentale aux pupitres très homogènes.
 
Simplicité, poésie et efficacité
 
Sur le plateau, le décor astucieux offre d’abord à voir un château qui se transforme à vue en bateau, avec l’ajout de part et d’autre d’une proue et d’une poupe. Les hublots devenant des vitraux dans le tableau mettant en scène le pape. La scénographie – en particulier la traversée de la Manche rendue difficile par une tempête – relève du même esprit : simplicité, poésie et efficacité. Laurent Delvert, le metteur en scène, pourtant peu habitué à travailler avec des enfants, fait des merveilles en dirigeant au mieux les jeunes artistes.
En montant Pour les beaux yeux de Mathilde, Patrick Foll a choisi de faire revivre l’une des figures historiques majeures de la Normandie. Il a aussi voulu rappeler, en creux, que le théâtre de Caen restait fier d’avoir accueilli Atys de Lully en 1987 et Médée de Charpentier en 1993, révélant la tragédie lyrique à des Caennais enthousiastes. Un hommage discret à William Christie et à Jean-Marie Villégier, deux hérauts du renouveau baroque.
 
Thierry Geffrotin
 

Edwin Baudo & Hervé Mestron : Pour les yeux de Mathilde (création)
Caen, Théâtre – 9 juin (générale) ; représentations les 10, 11, 12 & 13 juin 2025
theatre.caen.fr/spectacle/pour-les-beaux-yeux-de-mathilde

© Philippe Delval – Théâtre de Caen

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