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Pour l’amour de Félix - Une interview de Marie-Catherine Girod

De Gabriel Dupont à Arnold Bax, Marie-Catherine Girod nous a fait découvrir, au disque comme au concert, bien des chemins secrets du vaste répertoire pianistique. Le piano de Mendelssohn vient de l’occuper cinq années durant : la parution d’une intégrale discographique en huit CD(1) se double d’un récital parisien entièrement consacré au compositeur de la Symphonie « Ecossaise », le 16 octobre aux Invalides. Rencontre avec l’une des figures majeures du piano français.

Depuis quand jouez-vous Mendelssohn. Par quelle œuvre l’avez-vous abordé ?

Marie-Catherine Girod : Les Variations sérieuses, j’avais douze ans ; c’est avec cette œuvre que j’ai eu ma première médaille au Conservatoire National Supérieur de Musique, en fait c’était l’œuvre imposée. Je m’en souviendrais toute ma vie. Nous avions les partitions cinq semaines avant l’épreuve, et j’avais à peine reçu la mienne que je suis tombée malade : une rougeole qui m’a empêchée de travailler pendant deux semaines. La répétitrice de mon professeur est venue me faire travailler tous les jours dès que je me suis sentie mieux et nous avons réussi : j’ai eu ma première médaille, première nommée.

J’ai toujours été frappée par le fait que les Variations sérieuses vont comme un gant aux enfants et aux adolescents alors qu’elles se refusent souvent aux pianistes adultes… C’est une œuvre dont on a exagéré la difficulté. Lorsque l’on est jeune on en voit surtout le côté brillant, les accents dramatiques, et en vieillissant on l’intériorise probablement trop, en oubliant le caractère des variations. Je ne les joue sûrement plus comme lorsque j’avais douze ans mais c’est une œuvre que je n’ai jamais lâchée et que j’adore.

Comment avez-vous travaillé en vue d’enregistrer l’intégrale, les cahiers sont très variés mais réclament tous une technique bien particulière, beaucoup d’agilité et de goût pour les timbres ?

M.C. G. : Au début je ne pensais pas m’engager dans une intégrale. Nous avions décidé avec Pierre Dyens de graver les Romances sans paroles. Cela a plutôt bien marché, ce qui n’était pas étonnant, car Mendelssohn m’a toujours bien été, et de plus j’aime vraiment cette musique. L’envie de l’intégrale est venue d’elle même. Au début j’étais inquiète car cela faisait cinq disques. Nous les avons enregistrés et une fois tout en boîte j’ai appelé Brigitte François-Sappey(2) pour lui annoncer la bonne nouvelle. Elle m’a dit : « Connaissez-vous les deux disques de pièces rares publiées par Roberto Prosseda chez Decca ? ». Je ne les connaissais pas. Et me voilà bien obligée d’annoncer à Pierrre Dyens que notre intégrale n’était pas une intégrale et qu’il faudrait encore au moins deux disques pour la compléter. Pierre a décidé de poursuivre, finalement cette intégrale totalise huit disques ! Il y a même des œuvres que Prosseda n’a pas enregistrées. Toute cette musique « inconnue » réserve quantité de surprises, il aurait été plus que dommage de s’en passer.

Quelles sont les qualités techniques spécifiques que requiert la musique de Mendelssohn ?

M.C. G. : C’est la même technique que celle demandée par Weber dans ses Sonates : une technique de doigts, très élégante, relativement légère mise à part pour une ou deux pièces. Idéale pour une pianiste, on évite toute les grands effets de virtuosité massive, il faut plutôt une véritable adresse. Et une certaine imagination que la sonorité doit rendre : Shakespeare n’est jamais loin, les références au Songe d’un nuit d’été abondent, voyez le début du Scherzo a Capriccio en fa dièse mineur.

Les pages inspirées par Bach, et elles sont nombreuses, constituent-elles la meilleure porte d’entrée, ou au contraire sont-ce celles plus fantasques comme les Caprices et les Fantaisies ?

M.C. G. : Selon moi indiscutablement par le côté plus fantasque, celui des Caprices et des Fantaisies. Finalement avant d’entreprendre ce qui est devenu cette intégrale je n’avais travaillé que deux œuvres de Mendelssohn : les Variations sérieuses et la Fantaisie op 28. J’ai donc du apprendre tout le reste y compris le Rondo capriccioso ! Pour le novice il faut commencer par le Caprice op 16 et la Fantaisie op 28, avec son premier mouvement presque schumanien, son Scherzo sans véritable péril et ce finale où l’on trouve toute la folie digitale qui est une des signatures majeures du langage pianistique de Mendelssohn. Ensuite il faut poursuivre par le Scherzo a Capriccio puis le Scherzo op.5 - un délire absolu ! On donne souvent pour commencer les Préludes et Fugues, mais c’est une musique assez dure et, tout à fait entre nous, un peu ingrate. Il faudrait plutôt se pencher sur les fugues de jeunesse qui sont peut-être des devoirs d’écolier, mais quelles œuvres tout de même : celle en fa dièse mineur est fabuleuse !

Et si l’on veut creuser, on peut tenter la Fantaisie en do mineur et ré majeur, une immense pièce de vingt minutes, inégale, mais souvent passionnante avec son mélange de grand lyrisme, d’évocations de l’opéra mozartien mais aussi ses terribles passages en octaves, une œuvre qui risque le composite mais soutient l’attention et réserve bien des surprises. Et puis toutes les Romances sans paroles ; impossible d’en choisir certaines plus que d’autres, ce sont toutes des bijoux.

En travaillant sur cette intégrale, vous êtes-vous immergée dans le reste de l’œuvre de Mendelssohn ? On sent souvent dans votre jeu un rappel de l’orchestre si coloré du compositeur.

M.C. G. : En fait je connaissais très bien le reste de son œuvre, la musique de chambre, les Symphonies, les Concertos, les Mélodies ; je n’ai pas eu vraiment besoin de la réentendre. Mais cette connaissance m’a certainement aidée pour trouver les clefs de son œuvre pour piano ; je n’ai pourtant pas réécouté ses œuvres d’orchestre dans le but d’en tirer des sonorités particulières pour les intégrer à mon jeu. Pour moi le travail sur le sens et les solutions esthétiques ou expressives ne doivent se trouver que dans l’instrument. Je cherche au piano et pour le piano. J’essaye de jouer le plus clair possible, et surtout je porte une extrême attention aux phrasés, à l’articulation. Mendelssohn parle dans sa musique un langage très volubile, il faut faire attention à ce que celui-ci ne « saoule » pas les auditeurs.

Comment la situez-vous dans le vaste paysage du romantisme allemand ?

M.C. G. : Dans la droite ligne de Weber, mais si l’alpha est évident, on ne sait pas où se concrétise l’oméga. Même si le Chopin des Rondos ou des Impromptus peut s’y rattacher, le génie poétique du piano de Mendelssohn semble être demeuré sans descendance. A la lecture du livre de Brigitte François-Sappey (2) j’ai été étonnée d’apprendre que Mendelssohn aimait la vitesse. Il jouait vite, et lorsqu’il dirigeait des orchestres il leur demandait toujours de jouer plus vite. Cette rapidité est assez antinomique avec le temps suspendu des romantiques. C’est en fait une autre conception du romantisme, un romantisme éclairé par les vertus de classicisme et le goût du fantasque. Lorsque l’on travaille la musique de Mendelssohn, il faut toujours aller dans le sens de l’allègement.

Quel est le programme de votre concert aux Invalides ?

M.C. G. : Durant les cinq années consacrées à l’enregistrement de l’intégrale j’ai évidemment inclus dans mes concerts des pièces de Mendelssohn. C’est alors que j’ai réalisé à quel point il était délicat de composer tout un récital monographique consacré à ce compositeur. Et pourtant je donnerai un concert entièrement Mendelssohn le 16 octobre. Je sais que Brigitte François-Sappey dira quelques mots, puis je jouerai un programme composé comme j’aime le faire d’œuvres qui se suivent par enchaînement tonal. J’attache toujours beaucoup d’importance à cela. Je commencerai par la première des Pièces caractéristiques de l’Opus 7, puis le Rondo capriccioso, une sélection de Romances herborisées dans tous les cahiers, le Scherzo a Capriccio et la Fantaisie opus 28. J’ouvrirai la seconde partie par la Sonate en si bémol mineur, un petit bijou que je suis la seule à avoir enregistrée à ce jour, les Trois Etudes op 104, le Feuillet d’album op 117, puis les Variations sérieuses. Tout s’enchaîne par tonalité, si ce n’est que je n’ai pas trouvé une seule œuvre pianistique de Mendelssohn en ré mineur.

Quelles nouvelles œuvres vous apprêtez-vous à nous faire découvrir ?

M.C. G. : J’ai beaucoup joué de répertoires rares, j’aime découvrir des œuvres. Mais pour l’heure, après ce grand voyage chez Mendelssohn, j’ai envie de retravailler Chopin. Je dois jouer prochainement l’Andante spianato à Montpellier. Je pense à Fauré… mais rassurez-vous je ne suis pas prête à me plonger dans Beethoven. Son univers me reste toujours aussi étranger…

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 10 octobre 2009

Récital de Marie-Catherine Girod
Œuvres de Mendelssohn
Vendredi 16 octobre, 20h
Hôtel National des Invalides
129, rue de Grenelle – 75007
Rés. : 01 44 42 35 07
(1) La pianiste vient d’éditer chez Saphir un coffret de huit CD regroupant l’intégrale de la musique pour piano de Mendelssohn, avec quatre œuvres enregistrées en première mondiale (Saphir LCV 001089.)

(2) Brigitte François-Sappey, « Felix Mendelssohn, la lumière de son temps », Fayard, 2008, du même auteur lire également « La musique dans l’Allemagne romantique », Fayard, 2009.

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Photo : DR
 

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