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Polifemo selon Bruno Ravella à l’Opéra national du Rhin – Porpora à Cinecittà – Compte-rendu

 
Et si l’opera seria, avec sa passion pour Homère, Virgile et Ovide, avait inventé le péplum ? C’est le parti humoristique que choisit Bruno Ravella pour cette première française du Polifemo de Nicola Porpora. Donné à Londres en 1735 afin de concurrencer l’entreprise lyrique de Haendel, il s’agit d’une œuvre hybride où le tragique se marie au bouffon. Le librettiste Paolo Antonio Rolli y mélange les histoires, celle d’Ulysse et de Calipso, celle d’Acis et de Galatée, chacun étant victime de Polifemo, le cyclope jaloux.
 

© Klara Beck
 
Cette superproduction, à l’origine taillée sur mesure pour Senesino et Farinelli, inspire une action située à Cinecittà dans les années 60. On y tourne un film dont les effets spéciaux (et il y en a !), auraient été confiés à Ray Harryhausen. Ulysse est une star entouré d’adoratrices, Polifemo est le réalisateur (parce que la caméra est un œil solitaire ? ), Acis un peintre de plateau réalisant des fonds de scène. Puis on rentre au cœur du tournage, avec un Ulysse bodybuildé, une Calipso (Delphine Galou, racée mais ici reléguée au second plan) et un cyclope débonnaire. Les incessants aller-retours entre le plateau de tournage et l’action filmée font tout le sel de ces trois heures gaguesques qui rafraîchissent les codes de l’opéra baroque.

Découvrez l'interview vidéo de Delphine Galou à propos de Polifemo
 

Emmanuelle Haïm © Klara Beck 
 
En fosse, Le Concert d’Astrée déploie la rutilance d’une partition généreuse où la part belle est donnée aux vents et aux cuivres, dont de tempétueux arias dopés aux trompettes (le fameux « Nell’attendere il mio bene » destiné à Farinelli). Emmanuelle Haïm est plus qu’à son aise dans cette surabondance sonore où le tendre le dispute à l’éclatant. Le lamento de Galatée, « Smanie d’affano » est le sommet émotif de l’opéra, une réponse au « Ah mio cor » de l’Alcina de Haendel, également créée en 1735. On remercie la fertile rivalité entre créateurs qui a suscité de tels chefs d’œuvre. La soprano néo-zélandaise Madison Nonoa prête son timbre charnu et agile à Galatea. Sommet de la partition, l’ « Alto Giove » voit Franco Fagioli déployer l’étendue de son savoir-faire émotionnel, les tempi lents seyant mieux à un timbre qui n’a plus l’ampleur qu’on lui a connu.

Découvrez un extrait de Polifemo
 

© Klara Beck 

À la création, le bravache Ulysse était Senesino et Paul-Antoine Bénos-Djian se montre fulgurant. Son timbre un peu mezzo, idéal pour Britten, Purcell et les rôles élégiaques tel le Didymus de Theodora, stupéfie par son impétuosité et sa projection. Le contre-ténor fait d’ailleurs un triomphe à l’applaudimètre. Le Polifemo de José Coca Loza sait être ténébreux et attachant. Mention spéciale, enfin, pour la délicate Nerea d’Alysia Hanshaw grandie à l’Opéra Studio de l’OnR.

Découvrez l'interview vidéo du metteur en scène Bruno Ravella
 
Ce spectacle destiné aux stars et sachant s’en amuser, sera repris en ouverture de la prochaine saison de l’Opéra de Lille. Et qui voudrait entendre Polifemo se précipitera sur la version gravée (chez Parnassus) avec Cencic, Mynenko et Lezhneva.
 
Vincent Borel
 

Porpora : Polifemo – Strasbourg, Opéra du Rhin, 5 février ;  prochaines représentations les 7, 9 & 11 février ; Mulhouse les 25 & 27 février ; Colmar le 10 mars 2024 // www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2023-2024/opera/polifemo

  
Photo © Klara Beck

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