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Pierre Pincemaille (1956-2018) – Le chantre du renouveau musical de la basilique Saint-Denis - Hommage Concertclassic (orgue)
L'aggravation de l'état de santé de Pierre Pincemaille était certes connue, mais l'émotion suscitée par sa disparition si brutale dans la nuit du 11 au 12 janvier, d'un cancer du poumon l'ayant emporté en trois mois, a provoqué une profonde et sensible onde de choc. D'autant plus que son ultime concert, le 5 novembre 2017, avait été des plus remarquables : il fêtait ses trente ans de titulariat à Saint-Denis (1). L'art et la vie de Pierre Pincemaille, son indéfectible soutien et indispensable alter ego dans leur engagement commun au service du renouveau de la musique vocale de la basilique-cathédrale de Saint-Denis : son épouse Anne-France, les a synthétisés, magnifiquement, dans l'annonce de son décès sur le site Pierre Pincemaille / Musicien, ainsi qu'il l'avait si justement intitulé (2).
Le 5 novembre dernier, ses proches avaient craint qu'il ne succombe à ses claviers, comme Vierne à Notre-Dame à la fin d'un récital dont le clergé lui avait signifié qu'il serait le dernier qu'on le laisserait donner, lequel clergé ne croyait donc pas si bien dire (on songe aussi à Joseph Keilberth rêvant de mourir et mourant effectivement en dirigeant Tristan und Isolde). Pierre Pincemaille, loin de tomber sous le coup d'un tel interdit dans sa cathédrale, aimait relater cette mort presque théâtrale de Vierne et en a peut-être rêvé pour lui-même. Il aura en définitive fait beaucoup mieux en offrant un ultime concert d'une si haute tenue, sans rien laisser paraître ou entendre. L'immense majorité du public ignorant son état d'épuisement n'aurait pu imaginer une seule seconde la réalité de la situation à l'écoute d'une aussi magistrale prestation. On doit à la vérité de dire que les amis et admirateurs venus l'attendre au bas de l'escalier de sa tribune, 64 marches qu'il mit un temps fou à descendre, furent douloureusement sidérés de le voir ainsi fragilisé (mais l'esprit n'avait rien perdu de son irréductible et mordante vivacité), à l'opposé absolu de ce que le musicien venait de donner à entendre : puissance inspirée, plénitude des moyens musicaux et instrumentaux, harmonie. Dès le lendemain il se faisait hospitalier pour une infection pulmonaire. À peine sorti, il écrivait : « J’ai poussé "jusqu’au bout" mes capacités de résistance pour pouvoir assurer coûte que coûte ce concert auquel j’attachais une importance capitale : il eût été inconcevable pour moi de faire défaut aux quelque 1000 auditeurs qui m’attendaient dans la nef de ma Cathédrale ! »
La console du Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Denis © DR
Et Anne-France Pincemaille de suggérer : « Cet après-midi là, très symboliquement, ce sont les 4000 tuyaux du grand Cavaillé-Coll qui ont soufflé à travers ses poumons [son poumon gauche avait déjà déclaré forfait]. Il n’y a pas d’autre explication à ce moment de grâce extraordinaire. Il nous faisait ses adieux, et nous offrait en cadeau cette grandiose Messe de Vierne et ses 3 motets, tout juste achevés, aussi la Pièce en sol de Bach symbolisant, à son sens, les trois âges de la Vie. » Les concerts des 17 et 23 décembre (cathédrales de Rouen et de Versailles) durent être annulés, mais aussi sa participation aux offices de Noël à Saint-Denis, pour la première fois depuis sa nomination en 1987 et la mort dans l'âme.
Comme pour tout grand musicien, outre son enseignement qui perdurera, autrement, à travers ses disciples, il reste, pour qui l'a entendu sur le vif et ceux qui le découvriront, quantité d'enregistrements aussi remarquables que puissamment personnels. Citons d'abord son intégrale des Symphonies de Widor sur une somptueuse palette Cavaillé-Coll : de son orgue de Saint-Denis à celui de Saint-Ouen de Rouen en passant par Saint-Sulpice, Lisieux, Lyon, Toulouse… (5 CD Solstice, 2000, Diapason d'or), puis celle des Douze pièces de Franck à Saint-Sernin de Toulouse (2 CD Solstice, 2006). Le reste de sa discographie pour le même éditeur (3) fait montre d'un éclectisme très révélateur de la curiosité du musicien.
On trouve aussi bien L'Oiseau de feu et Petrouchka de Stravinski, transcrits par Pincemaille et enregistrés à l'orgue Gonzalez-Dargassies de la Salle Olivier Messiaen de Radio France (1996), que la symphonie pour orgue et orchestre de Copland et celle de Jongen, ou encore trois cycles improvisés sur des thèmes de Noël (gravés en une soirée de 2002) à l'orgue Aeolian-Skinner/Schudi de la Perkins Chapel de Dallas : triptyque initial bien dans sa manière « symphonique » (avec fileuse de rigueur – évidemment époustouflante – et un finale d'une exaltation ahurissante), suivi notamment d'une Partita montrant combien l'improvisation telle que Pincemaille la concevait reposait sur une parfaite connaissance des différents âges de la musique d'orgue, au choral harmonisé faisant suite un ricercar et quatre types de chorals : figuré, en trio, orné, fugué. Le tout d'une exactitude structurelle et musicale confondante, naturellement dans un climat harmonique où Pincemaille lui-même donne le ton, sans cesser d'évoquer Bach. Un ton à la fois lumineux, incisif et percutant, suprêmement tendu – trop souverain pour que l'on puisse dire angoissé, mais peu s'en faut –, caustique, tourmenté et parfois d'une noire densité. Tout Pincemaille, aussi éternellement insatisfait – dans l'équilibre, même poussé au bord du précipice – qu'irrésistiblement prométhéen.
On ne saurait oublier sa participation, reflet de son admiration pour celui qui jamais ne fut son maître mais assurément une vivante source d'inspiration, à l'enregistrement réalisé à Roquevaire en 1999 de l'œuvre écrite de Pierre Cochereau – une filiation grandement assumée. Enfin de nombreuses gravures pour différents labels tels que Pierre Verany (1990, année de son Prix de Chartres), Motette, Ifo, Lade, Organ (Wergo) ou Ctésibios (premier enregistrement de l'orgue Muhleisen de Notre-Dame de Bon Voyage de Cannes, 2011) nous restituent à jamais les multiples facettes de Pierre Pincemaille improvisateur (4), auxquelles répondent une intégrale Duruflé, un album Messiaen ou encore cette juvénile mais intense Messe de Vierne réentendue le 5 novembre dernier. Autant de témoignages d'un souffle que même la maladie n'aura pu altérer. Pierre Pincemaille avait eu 61 ans le 8 décembre, fête des lumières.
Michel Roubinet
(1) Concert du 5 novembre 2017 à Saint-Denis
www.concertclassic.com/article/un-dimanche-dorgue-particulier-paris-et-saint-denis-daniel-roth-et-pierre-pincemaille
(2) pierrepincemaille.fr
(3) Discographie Solstice de Pierre Pincemaille
www.solstice-music.com/fr/interprete/Pierre-PINCEMAILLE
(4) pierrepincemaille.fr/?page_id=315
Pour mémoire :
Interview de Pierre Pincemaille du 6 juin 2016
www.concertclassic.com/article/une-interview-de-pierre-pincemaille-organiste-saint-denis-se-merite
Compte rendu de son récital du 12 juin 2016 au Festival de Saint-Denis
www.concertclassic.com/article/pierre-pincemaille-au-festival-de-saint-denis-tout-simplement-royal-compte-rendu
Photo © DR
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