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Pierre Bleuse dirige l’Orchestre philharmonique de Strasbourg – César aux jardins d’Eros – Compte-rendu

 
Beau début de saison pour Pierre Bleuse. Côté enregistrement, un irrésistible récital « Bijoux perdus » vient de paraître (Alpha), où on le retrouve à la tête du Brussels Philharmonic, accompagnant avec un chic fou Jodie Devos dans une anthologie « bruzanesque » en diable (Massé, Meyerbeer, Halévy, Adam, Auber, Thomas) – si vous aimez l’opéra français du XIXe siècle, n’hésitez pas ; c’est là un pur délice. Au concert, le chef vient de se produire dans la capitale alsacienne, avec le Philharmonique de Strasbourg, pour un programme original formé de pages de Dukas, Manoury et Franck.
 
L’Apprenti sorcier n’est certes pas une rareté, mais l’originalité tient en l’occurrence à l’approche qu’en propose Pierre Bleuse. Plutôt que de laisser la pièce s’emballer dans une ivresse « fantasiesque » et courir à en perdre haleine, il préfère en sonder le détail et tirer parti des points d’appui qu’elle offre pour ménager des contrastes et relancer le déroulement du fil narratif. Une option qui ne laisse que mieux s’épanouir les couleurs d’un orchestre en très grande forme.
 

Emmanuel Pahud © Nicolas Roses

C’est à Cologne en juillet 2018 que Saccades pour flûte et orchestre de Philippe Manoury a été donné pour la première fois, par Emmanuel Pahud et François-Xavier Roth et le Gürzenichorchester. Le soliste créateur de la pièce est présent à Strasbourg pour sa reprise (tout comme le compositeur) : un atout de poids s’agissant d’une partition complexe, pensée en fonction de sa personnalité – « Emmanuel n’est pas un «flûtiste laser », déclare l’auteur. Sa flûte est à la fois sensuelle et virile, en tout cas dénuée de la seule légèreté qu’on y accole souvent. »
Quant à Pierre Bleuse, précis, vivant, il trouve le relief et les climats – particulièrement variés –  requis afin que la musique atteigne son plein impact au fil d’une relation soliste/orchestre qui s’apparente à une « joute » selon le terme de Manoury. Joute au cours de laquelle la mobilité de jeu de Pahud, la richesse et la projection insensées de sa sonorité lui permettent de toujours tenir tête à la masse orchestrale jusqu’à la victoire finale du soliste. Une victoire savourée en solo : le sourire en coin teintée d’ironie que Pahud semble poser sur la dernière note vaut le détour ! Le flûtiste s’est bien gardé – à raison – d’ajouter un quelconque bis malgré le formidable accueil de l’auditoire.
 

© Nicolas Roses
 
César Franck occupe toute la seconde partie de soirée avec Psyché, ultime et vaste poème symphonique de l’artiste liégeois. Terminé en 1887 et créé à la Société Nationale de Musique, salle Erard, sous la direction de l’auteur l’année suivante, avec une reprise en février 1890 au Châtelet par Edouard Colonne, Psyché n’est que rarement donné dans sa version intégrale, tant en raison de sa longueur (près de 45’) que du chœur qu’il requiert. Trois ans avant sa disparition l’artiste y fait entendre une inspiration nourrie d’une puissante sensualité. Reste à la faire partager aux auditeurs du début du XXIe siècle ; à trouver la voie idoine pour libérer la sève de la musique, en se gardant de tout faux pas expressif, en particulier lors d’interventions chorales qui pourraient aisément paraître mièvres. Une manière de quadrature du cercle : Pierre Bleuse parvient à la résoudre avec le concours d’une phalange qui, après de grandes réussites berlioziennes sous la conduite John Nelson, confirme ses affinités avec le répertoire français.
 
Plénitude des cordes, saveur de l’harmonie (cette clarinette ...), noblesse des cuivres : un outil de premier ordre s’offre au chef. La qualité et l’évidence de la relation qu’il entretient avec les musiciens strasbourgeois donne l’impression qu’il les connaît depuis des lustres ; il ne s’agit pourtant que ... de son troisième concert avec eux ! On n’est que plus admiratif d’un résultat auxquel les choristes, impeccablement préparés, issus du Chœur de l’Opéra du Rhin (dir. Alessandro Zuppardo) et du Chœur philharmonique de Strasbourg (dir. Catherine Bolzinger) apportent une précieuse contribution. Du Sommeil de Psyché à l’apothéose finale et la montée du couple divin dans la lumière, en passant par les Jardins d’Eros, Pierre Bleuse signe une interprétation intensément vécue et d’une profonde unité, au cours laquelle les épisodes choraux, d’une idéale transparence symboliste, s’intègrent parfaitement. 

 
Alain Cochard

Strasbourg, PMC-Salle Erasme, 7 octobre 2022
 
Photo © Nicolas Roses

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