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Philippe Jordan et les Wiener Symphoniker à la Philharmonie de Paris – D’un même élan – Compte-rendu

Bientôt à la tête de la prestigieuse Wiener Staatsoper (à partir de 2020), Philippe Jordan, actuel directeur musical de l’Opéra de Paris, est aussi celui des Wiener Symphoniker depuis 2014 - avec l’excellent Lahav Shani en premier chef invité de cette formation.
Vienne et Richard Strauss, c’est une longue histoire, qui fut d’abord, avant même celle de l’opéra (qu’il dirigea longuement), une rencontre entre un chef et des musiciens, un lien indéfectible. Ainsi, deux poèmes symphoniques de Richard Strauss, autour du thème du « Héros », si cher au compositeur, par les Wiener Symphoniker dirigés par Philippe Jordan, s’annonçaient pour le moins passionnant à écouter et à voir jouer.

Gautier Capuçon © Gregory Batardon
 
Le concert débute par Don Quichotte, poème symphonique inspiré de Cervantès. Contrairement à Ainsi parlait Zarathoustra, grave et métaphysique, Don Quichotte se présente comme un immense thème et variations pour le moins fantasque, volontiers tourné vers la comédie et le théâtre. Strauss met en musique et en scène les personnages comme il le proposait déjà dans Till l’Espiègle : Don Quichotte, le Chevalier à la Triste Figure, ici le violoncelle magnifique et magnétique de Gautier Capuçon, son écuyer Sancho Pança, clarinette basse, tuba ténor et surtout alto bavard (et formidable !) d’Herbert Müller.
La partition regorge de trouvailles orchestrales, extrêmement modernes (presque bruitistes) lyriques, sensuelles et profondément émouvantes. L’orchestre suit les aventures des personnages, tantôt scintille, sautille, tantôt chante, effraie ou invite au recueillement, au gré des rencontres et des humeurs.
Les Wiener Symphoniker sont dans leur jardin ; les solos se révèlent plus éblouissants les uns que les autres ; Philippe Jordan joue de brio, de clarté et d’élégance. Le souffle épique y est, le son de Vienne se déploie dans la grande salle de la Philharmonie. On est au spectacle, indéniablement.
Mais voilà, Don Quichotte est un anti-héros. Et ce Don Quichotte sonne presque trop beau, trop chic, trop héroïque. On oserait presque, à ce niveau d’exécution, attendre plus de picaresque, voire de grotesque, encore plus de regards échangés entre les pupitres, encore plus de contrastes, de folie, de théâtre.
 
Une Vie de Héros en deuxième partie transforme ce qui est un beau concert en soirée d’exception. Philippe Jordan embrasse désormais son orchestre sans partition et présente dans une envolée spectaculaire le « héros », thème large héroïque qui évoque un Beethoven ou encore la vigueur du thème de Don Juan. L’orchestre s’engage, uni dans un même élan qui ne se démentira jamais pendant les 45 minutes de cette partition luxuriante. Jordan dompte les masses, dessine les contours de cette musique chatoyante.
Strauss fait ici preuve de tout son génie orchestral, entre l’héroïsme des cordes, les fanfares, les grincements aux bois et grognements aux tubas des « adversaires du héros », le lyrisme espiègle et ravageur de la « compagne du héros » incarnée par le violon solo – extraordinaire Anton Sorokow – avant la déferlante de « la bataille du héros », qui conduit enfin aux « œuvres de paix du héros » (savante évocation de Don Juan, Mort et Transfiguration, Zarathoustra, Don Quichotte…) jusqu’à la « retraite du héros » finale, temps suspendu et émotion à son comble.
 
On est repu, mais l’orchestre chaud, avec l’envie d’en démordre. Philippe Jordan, visiblement détendu, s’amuse dans la 1ère Danse Hongroise de Brahms, enchaînée à une Tritsch-Tratsch Polka, endiablée comme il se doit, mais toujours apollinienne. Un clin d’œil à de belles heures viennoises à venir.
 
Gaëlle Le Dantec

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Paris, Philharmonie de Paris (Salle Pierre Boulez), 4 juin 2018

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