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​Pelléas et Mélisande au Grand Théâtre de Genève (Streaming) – Marina, tu n’es pas de notre galaxie –Compte-rendu

Parmi les nombreuses annulations de spectacle entraînées par la pandémie, il en est une qu’ont dû amèrement regretter les admirateurs de Marina Abramović : entre avril et décembre 2020, Les Sept morts de Maria Callas aurait dû se promener d’une métropole européenne à l’autre, avec notamment une escale au Palais Garnier à l’automne dernier. Qu’à cela ne tienne, les fans auront leur lot de consolation, avec la reprise genevoise de la production de Pelléas et Mélisande créée en 2018 à l’Opera Ballet Vlaanderen, dont la plasticienne serbe a signé les décors. Pour elle, Allemonde se situe dans l’espace intersidéral – d’où les vidéos du fond de scène – mais aussi dans un monde un peu primitif, où le mobilier est remplacé par d’énormes carottes de glace, sous un éclairage bleu quasi permanent. Soit. Plus significatif, la mise en scène était confiée à deux chorégraphes, Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui, d’où un spectacle presque intégralement dansé : rares sont en effet les moments où le plateau n’est pas occupé par une équipe de huit danseurs nus (mais en slip) dont les évolutions tourmentées évoquent la sculpture de Rodin et l’univers pictural symboliste.
 

© Rahi Rezvani

Cette présence de la chorégraphie permet des solutions ingénieuses à quelques problèmes épineux, notamment en ce qui concerne les cheveux de Mélisande, la scène de la Tour la voyant se métamorphoser en araignée dans la toile de laquelle Pelléas est pris. Elle a aussi l’inconvénient de laisser largement reposer sur les épaules des danseurs la dimension physique et sensuelle de l’intrigue, même si les protagonistes semblent ici se frôler davantage que dans le souvenir conservé des représentations anversoises. Certains personnages semblent aussi avoir moins inspiré les metteurs en scène : c’est surtout le cas d’Arkel, qui n’exprime décidément pas grand-chose dans ses deux monologues.
Bien sûr, quelques changements sont intervenus par rapport à 2018. D’abord, pandémie oblige, le spectacle est capté sans public (mais en direct, et avec beaucoup de fluidité, par Andy Sommer), et l’orchestre occupe tout le parterre. Peut-être grâce à cette disposition dont on espère malgré tout qu’elle ne finira pas par devenir habituelle, on ne perd pas une note, par un détail de l’orchestration de Debussy. Autre modification de taille, c’est l’Orchestre de la Suisse romande qu’on entend, formation qui a Pelléas dans son ADN depuis la grande époque d’Ernest Ansermet. Son directeur artistique et musical, Jonathan Nott, propose une direction dont on remarque d’autant plus l’ardeur que, sur scène, les héros semblent souvent un peu froids.

C’est toujours une surprise de constater que, dans des pays dont le français est une des langues officielles, on ne fasse pas davantage appel à des artistes francophones pour un opéra où la diction compte plus que jamais. La distribution genevoise est semblable à celle des Flandres pour les quatre personnages principaux, mais fait intervenir trois nouveau-venus pour les rôles secondaires. Justin Hopkins est un Berger/Médecin à la vois un peu trémulante, Marie Lys un Yniold qui ne cherche à aucun moment à se faire passer pour un petit garçon, et Yvonne Naef déclame assez superbement la lettre de Geneviève. Matthew Best est un Arkel humainement inexistant, ce qui est d’autant plus regrettable que son timbre a toute la noirceur souhaitable et qu’il aurait sûrement été possible de lui faire donner plus de sens à ses propos. Jacques Imbrailo commence la soirée avec une fatigue perceptible, d’où quelques aigus douloureux, et une certaine tension vocale l’oblige à passer en force des phrases qui mériteraient plus de délicatesse. Leigh Melrose est un acteur hors pair, dont on regrette seulement le français souvent trop nasal. Et l’on retrouve la magnifique Mélisande de Mari Eriksmoen, totalement maîtresse d’un rôle qui, paradoxalement, sollicite davantage le grave que l’aigu, elle qui peut aussi briller dans des rôles de colorature. Espérons que d’ici septembre, la situation permettra de l’applaudir en Marzelline de Fidelio à l’Opéra-Comique.

Laurent Bury

Debussy : Pelléas et Mélisande – Retransmission du 18 janvier 2021. Disponible jusqu’au 19 février 2021 sur : www.gtg.ch/digital/#module17-block_5fc51b914b25b
 
Photo © Magali Dougados

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