Journal

Paris - Compte-rendu - un poète au piano, Nelson Freire en récital

Les trois accords initiaux de la Sonate aux Adieux de Beethoven ont suffit à Nelson Freire pour nous plonger au cœur du concert : l’auditeur tant soit peu recueilli et sensible (ce qui ne fut pas le cas de tout le monde, à en juger par les sonneries de téléphones qui ont agrémenté le concert et par les toux intempestives et dérangeantes pour l’interprète) avait déjà l’impression d’avoir parcouru, en trois temps et au gré d’une modulation du majeur vers le mineur, un long voyage, et comprenait d’emblée qu’il avait affaire sans conteste à l’un des plus grands pianistes vivants.

La sonate de Beethoven… Qu’en dire sinon qu’elle a évidemment révélée une maîtrise idéale ? Dramatisme, nuances infiniment délicates, dynamisme et énergie tempérés par un toucher d’une élégance et d’une douceur suprêmes qui ne donnent jamais l’impression d’effort : autant de termes qui peuvent suggérer seulement ce que l’on a pu ressentir à l’écoute de Nelson Freire.

Après une telle entrée en matière, il fallait évidemment que la suite du concert fût du même niveau. Freire avait choisi l’un des sommets du répertoire pianistique : la Fantaisie opus 17 de Schumann. Autant dire que notre attente ne fut pas déçue : la maîtrise technique s’effaçait devant l’expressivité toujours mise en avant. Rarement nous avons entendu un tel premier mouvement : à l’audition de cette pièce quasi rhapsodique, le public a senti que Freire avait longuement médité l’œuvre pour en donner une interprétation poignante, ne négligeant aucune pause ni aucun silence, faisant la part belle à la fragmentation et aux changements d’atmosphère qui se produisent d’une instant à l’autre.

A chaque moment correspondait une sonorité et une inspiration particulières, le tout produisant un effet d’une intensité et d’une beauté remarquables. La fougue de Florestan qui s’emporte dans le second mouvement, la calme mélancolie d’Eusébius qui se livre à des confidences dans le troisième, ont ravi les mélomanes. Mais, si le piano de Freire a toujours été éloquent, a toujours parlé avec émotion et retenue, jamais il n’est tombé dans la mièvrerie et l’afféterie.

Triomphant dans la Fantaisie de Schumann, Freire est revenu en seconde partie pour jouer les Préludes de Chopin. De nouveau, le pianiste brésilien a usé de toutes les ressources de son jeu, qui sont immenses. Une personnalité s’exprimait sans conteste à travers ces brèves pièces, dont Freire a su extraire la fulgurante beauté. La profondeur que l’on entrevoit dans ces courts Préludes est cependant bien difficile à formuler avec de pauvres mots. Nelson Freire s’adresse avant tout au cœur et non à l’esprit, en véritable poète, et, même si l’image est usée, elle s’est rarement imposée à nous avec une telle force pour qualifier un pianiste de cet ordre. Comment se fait-il que le Théâtre du Châtelet n’ait pas été comble ce soir-là ?

Christophe Corbier

Théatre du Châtelet

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles