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Paris - Compte-rendu : Reprise du Tristan selon Peter Sellars, de la disparition d’un baiser

Les reprises sont parfois l’occasion de repentirs : Peter Sellars a sacrifié sur on ne sait quel autel le baiser sur la bouche, signe de la confusion des sentiments et de la pérennité de l’affection qui unissait le roi Mark à son vassal Tristan alors même que celui ci venait d’aimer Isolde. On ne finit pas de se demander la raison de ce changement : à cause de l’interprétation trop étroite de ce geste si naturellement sellarsien par une partie de la critique qui y a vu l’aveu d’une relation homosexuelle ? Ou bien parce que le pardon se révèle tout compte fait impossible ?

Sellars ne commente pas, dans son spectacle, ce changement plus important qu’il n’y paraît, et c’est dommage car de la sorte il ne laisse que la sensation d’une ablation pratiquée par défaut. En fosse Gergiev déçoit constamment. Ceux qui espéraient un Tristan à feux et à sang, en tout l’opposé de la décantation implacable prônée par Salonen, en seront pour leurs frais : direction molle, vague, attentiste, laissant fuir avec application tous les climax, sans atmosphère et, plus inattendue, se confinant dans une douillette sensualité décidément étrangère à l’univers wagnérien.

Clifton Forbis peut-il inscrire ténor sur sa carte de visite ? Ses aigus sont absents, poussés pour mieux être étranglés, du début à la fin il barytone et finit par transposer à la volée, se faisant à tout coups couvrir dans les duo. On regrette la ligne de chant et l’allemand si clair de Ben Heppner. Mais il doit y avoir une raison pour que Forbis interprète Tristan sur tous les continents. Fut-il victime d’une méforme qu’on lui souhaite passagère? Une méforme c’est justement ce que Lisa Gasteen avait annoncée pour mieux faire oublier sa déclaration par un chant absolument glorieux. La soprano australienne est plus Brunnhilde qu’Isolde, mais elle réussit un portrait saisissant de la magicienne à l’acte I, sombre, torturé, violent, pour devenir plus conventionnelle en amoureuse.

Ekaterina Gubanova, la future Suzuki de la reprise de Madama Butterfly selon Robert Wilson in loco en janvier prochain, moins soprano qu’Yvonne Naef, met son timbre opulent à un personnage plus attachant qu’à l’accoutumée, une confidente visiblement éprise de sa maîtresse. Ses appels au II donnaient le frisson. Graves caverneux, voix moirée, ligne de chant presque expressionniste, Willard White est l’absolu contraire du bel canto de liedersänger qu’avait déployé Selig au printemps dernier ; pourtant il se montre aussi humain que son prédécesseur, fidèle à l’optique de Sellars.

Un berger frustre (Alec Bicsein, mauvaise voix en désordre mais physique avantageux, on ne pas tout avoir) est remboursé par trois incarnations parfaites : le Kurwenal d’Alexander Marco-Buhrmester, véritable leçon de chant. Au III sa composition est bouleversante, on a pas souvenir d’un Kurwenal vivant à ce point dans sa chaire l’agonie de Tristan. L’acteur est prodigieux, son baryton rocailleux, au médium ample, aux graves généreux en ont fait la révélation de la soirée, rappelant à quel point son prédécesseur (Rasilainen, échoué depuis en Wotan au Châtelet) était une imposture.

Le Melot âpre, brute épaisse, de Peteris Eglitis et les quelques phrases de Jean-Luc Ballestra en Steuermann dévoilent deux beaux chanteurs qu’il faudra suivre. La video de Bill Viola ne résiste pas à un second visionnage, objet chic et misérabiliste à la fois dont on se détache dés les premiers paysages maritimes pour se laisser happer par la direction d’acteur si limpide de Sellars qui a signé avec ce Tristan l’un des points de non retour de son art. A quand sa Tétralogie ?

Jean-Charles Hoffelé

Reprise de Tristan und Isolde de Richard Wagner, Opéra de Paris, La Bastille, le 20 novembre 2005, puis le 29 novembre et les 3 et 6 décembre.

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Photo : DR / Opéra national de Paris
 

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