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Paris - Compte-rendu : Porgy and Bess à l’Opéra Comique : America forever


Chorégraphe sud-africaine blanche, Robyn Orlin est une artiste engagée dont les spectacles en prise directe avec l'actualité, sont faits pour éveiller les consciences. La danse lui permet de chroniquer la société dans laquelle elle évolue et de dénoncer aussi bien l'apartheid "Daddy I've seen this piece..", que les ravages du sida "We must eat our suckers...", de rendre hommage aux Swankas, ouvriers zoulous de Johannesburg "Dressed to kill...killed to dress", ou simplement d'en découdre avec les conventions, l'intolérance, le pouvoir et les tensions entre les identités raciales.

Après avoir questionné l'oratorio de Haendel L'allegro, il penseroso ed il moderato en 2007 au Palais Garnier, Robyn Orlin a choisi de s'attaquer à une œuvre emblématique, Porgy and Bess, drame universel qui n'a rien perdu de sa force et de son audace, plus de soixante-dix ans après sa création.

Le quotidien misérable d'une minorité noire de Charleston fournit à la metteuse en scène une matière première idéale pour dénoncer la condition de millions d'Africains, exclus, ghettoisés, humiliés, mais mus par un irrépressible instinct de survie.

Décor blanc, belles lumières crues, omniprésence d'images vidéo (signées Pascal Lainé) qui défilent en contrepoint pour nous rappeler dans quelle précarité vivent toujours les communautés noires, scènes de groupe efficacement réglées et personnages au jeu simple et naturel, Orlin va à l'essentiel : l’amour constamment menacé, la violence, Dieu, la drogue, la résignation ou la fuite. Si le dispositif scénique imaginé est complexe, l'intrigue est traitée avec une évidente recherche de sobriété et de linéarité. Bess, femme sous influence, éternellement voué au rôle de victime, (traquée ici par la police façon télé-réalité, ou symbolisée par un canari dans une cage) touche, Porgy émeut par son courage et sa sincérité, tandis que Crown et Sportin'Life brutaux et malhonnêtes, sont deux salauds aux comportements insupportables. Habité, tenu, moderne, ce spectacle est une éclatante réussite, Robyn Orlin ayant su rendre proche de nos préoccupations un sujet dont on ne peut nier les correspondances, sans avoir eu recours à une improbable transposition ou à l’utilisation excessive de la danse.

Conduite avec une fougue communicative par Wayne Marshall, le New World Symphony et l’America's Orchestral Academy, la partition de Gershwin révèle une ivresse sonore et des tensions souterraines particulièrement enivrantes. A la Bess crédule et manipulée, chantée d'une voix pleine et généreuse par la soprano Indira Mahagan, à la technique assurée, répond le Porgy claudiquant du baryton Kevin Short, amoureux éconduit aux accents subtilement maîtrisés et d'une dignité à toute épreuve. En comparaison les compositions un rien caricaturales de Daniel Washington (Crown) et de Jermaine Smith (Sportin'Life) manquent de subtilité. Avec sa voix aux aigus vaporeux, Laquita Mitchell s’empare avec aisance de Clara dont elle assume crânement le fameux "Summertime", l'instrument ample et charnu d’Angela Renée Simpson transportant littéralement le public avec une Serena à l'émission brûlante. Le reste de la distribution, ainsi que les chœurs magnifiquement préparés confirment la cohésion de cette enthousiasmante réalisation, qui succède à la version beaucoup plus traditionnelle de Tazewell Thompson, présentée à l'Opéra Bastille en janvier 1997 et à la récente production lyonnaise du tandem Montalvo/Hervieu.

François Lesueur

Opéra Comique, le 2 juin. Prochaines représentations les 10, 12, 14, 16, 20 juin 2008


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Programme détaillé de l’Opéra Comique

Photo : Concertclassic

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