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Paris - Compte-rendu : Mezzo qui rit, mezzo qui pleure…

Deux des plus célèbres mezzos actuelles viennent de donner deux concerts aux antipodes l’un de l’autre à 24 heures d’intervalle. Leur seul point commun est d’avoir changé leur programme initialement prévu. C’est d’abord, dans la série des « Grandes Voix » du Théâtre des Champs-Elysées, l’Allemande Waltraud Meier, crinière flamboyante, incomparable Kundry et Isolde de Bayreuth à Paris, qui a substitué à L’Amour et la vie d’une femme de Schumann et à Brahms, une soirée Berg, Schubert, Mahler et Richard Strauss. Si celle qui incarna de façon si convaincante la Marie du Wozzeck de Chéreau au Châtelet traduit à merveille l’étrangeté expressionniste des Sept Lieder de jeunesse d’Alban Berg, l’art de la miniature que constitue la mélodie allemande romantique lui semble étranger.

Froide comme une Fille du Rhin, elle demeure impassible dans le bouquet de Lieder de Schubert qui suit. Il est vrai que son très jeune compatriote Joseph Breinl ne l’a guère épaulé du piano. Il lui a même carrément savonné la planche en prenant le pourtant sublime Marguerite au rouet à un tempo d’enterrement. Mais l’impavidité d’allure comme son timbre monochrome appartiennent en propre à Waltraud Meier. Mahler et Strauss n’ont fait que confirmer que la fabuleuse marathonienne wagnérienne a du mal à entrer dans le drame minute que contient chaque lied. Une grande voix impuissante à pénétrer le monde lilliputien de la mélodie.

Dès le lendemain mardi à la Cité de la Musique, la blonde Suédoise, Anne Sofie von Otter (photo ci-dessus), aînée de six mois de sa consoeur allemande, troquait Le Poème de l’amour et de la mer de Chausson pour Les Chants du compagnon errant de Mahler. Après tout, n’était-elle pas invitée à faire ce qui lui plaisait dans l’excellente série « Domaine privé » à La Villette ? Et puis, ses affinités avec Mahler sont telles qu’on aurait bien mauvaise grâce à se plaindre. Voix délicate, certes, mais au timbre clair et riche, elle a traité les quatre mélodies tirées du recueil Le Cor enchanté de l’enfant avec un sens aigu de l’enluminure et de la peinture. Quelles que soient les vagues que Mahler soulève dans les profondeurs de son orchestre, elle parvient à faire rayonner les mots et les notes.

Comme chez un Fischer-Dieskau ou une Schwarzkopf, mais pas chez Madame Meier, l’art de la projection transfigure les syllabes qui concentrent l’intensité de l’interprète. L’Orchestre de chambre d’Europe et Marc Minkowski déroulent un tapis sous ses pieds, mais sans jamais demeurer en retrait : il s’agit d’une complicité fusionnelle entre sensibilités accordées. Magnifique bis en forme d’écho lointain avec un Schubert nocturne à souhait.

Jacques Doucelin

Waltraud Meier dans la série « Grandes voix » du TCE le 23 janvier 2006 et Anne Sofie von Otter en Domaine privé à la Cité de la Musique le 24 janvier 2006.

Programme détaillé du Théâtre des Champs-Elysées

Programme détaillé de la Cité de la musique

Photo : DR
 

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