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Paris - Compte-rendu : l’expérience Bostridge

Ian Bostridge

Assister à un récital du ténor britannique Ian Bostridge n’est pas une expérience commune ; cela tient davantage d'un cérémonial avec ses codes, son atmosphère, son nécessaire recueillement, qu’à la soirée chaleureuse entre amateurs complices. Longiligne et timide tel un éternel étudiant d’Oxford, Ian Bostridge ne cherche pas le contact. Il est là pour chanter et interpréter des œuvres sélectionnées avec soin, sans céder à la facilité. Ainsi, lors de son récital au Châtelet proposait-il un plein programme Schubert, sur le thème de l’errance et des paysages, que ceux-ci soient associés à l’âme où à la nature. Son timbre étrange, parfois androgyne, retient plus que jamais l’attention. Comme toujours on admire chez ce musicien raffiné, sa grande préparation mentale, qui lui permet d’imposer un état différent pour chaque mélodie, qu’il enchaîne d’un seul souffle. La voix sait se faire coupante, aigre, lisse ou rugueuse pour épouser chaque climat poétique et habiter les textes.

Du « Im Frühling » introductif pétri de nostalgie, au délicat « Heidenrosslein » donné en bis, du périlleux « Auf der Bruck » (Sur le pont), aux rarissimes, car inchantables, « Aus Heliopolis » I et II d’après Johann Mayrhofer, Bostridge ne se ménage pas. Minutieusement accompagné par Julius Drake dont l’intimité musicale, proche de la communion, est devenue avec les années proverbiale (leur compagnonnage à mûri depuis leur album paru en 1998 chez Emi et leurs passages au Châtelet en février 2000 où Schubert côtoyait Wolf et en novembre 2003), le duo passe de la gravité « Totengräbers Heimweh » (La nostalgie du fossoyeur), à la méditation « Nachtviolen », de l’exaltation « Im Walde », à la réserve « Atys », avec une maîtrise et une expressivité constantes.

Seule liberté prise au cours de ce voyage au cœur du romantisme, où planent les horizons inaccessibles peints par Caspar David Friedrich, « La Truite », chantée sur le fil avec des accents nasillards et dans un allemand bousculé, a rapidement laissé la place à la dépression, état dans lequel aime à se complaire le ténor. Récital pesant, certes, mais exigeant : une expérience, assurément.

François Lesueur

Châtelet, 23 janvier 2007

Programme détaillé du Châtelet
 

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