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Paris - Compte-rendu : Grace Bumbry au Châtelet : Une impression d’éternité…


Quarante-sept ans après ses débuts au Palais Garnier dans le rôle d’Amneris, Grace Bumbry était en récital au Théâtre du Châtelet, mercredi soir. Visiblement aussi émue que le public qui s’était massivement déplacé pour fêter cette gloire du passé toujours en activité, la diva a livré une leçon d’intégrité vocale et de longévité artistique digne d’éloges. Alors qu’en mai 2001, au Châtelet également, elle avait rendu un hommage à son illustre devancière Lotte Lehmann, la cantatrice a conçu cette fois un programme constitué de ses airs préférés.

Casque d’argent, silhouette arrondie et démarche moins alerte, Grace Bumbry mit peu de temps à nous rassurer sur son état vocal. Prudente, mais capable de donner du corps et de la sève à deux joyaux haendeliens tels que « Where e’er you walk » (air de Jupiter dans Semele) et « V’adoro pupille » (confié à Cleopatra dans Giulio Cesare), elle fit disparaître notre appréhension en abordant plus sereinement Mozart (vindicatif « Als Luisa die Briefe »), puis Schubert (efficace « Taubenpost » ). L’absence de vibrato, un aigu clair, des registres soudés entre eux, une ligne de chant ferme et surtout un timbre étonnamment préservé, apportèrent un démenti formel à ceux qui prédisaient sa chute.

Car Grace Bumbry ne s’est jamais ménagée au cours de sa longue carrière, alternant les rôles les plus opposés (Eboli, Tosca, Salomé…), s’adaptant à toutes les tessitures, du mezzo grave d’Azucena au grand soprano de Turandot, au risque de se consumer, victorieuse pourtant. Après les larmes du Pauvre Pierre de Schumann (op 53), déclamé d’une voix sûre et dans un style accompli, la chanteuse s’illustra vaillamment dans Les Nuits d’été de Berlioz, d’abord dans un Spectre de la rose d’une grande quiétude, L’île inconnue bénéficiant d’un volume et d’une tonicité à toute épreuve. Variété des compositeurs, des écoles et des langues, la diva après deux magnifiques extraits tirés des Wesendonck-Lieder de Wagner, accompagnés avec sensibilité par Alexander Schmalcz, ajouta le russe (deux Rachmaninov aux accents mélancoliques) et l’espagnol (deux Falla fort nuancés), qui confirmèrent l’étendue de ses « amours » et l’amplitude de ses connaissances.

Trois bis vinrent enfin prolonger cet émouvant rendez-vous, un insolent El Vito (Granados), un tendre spiritual et le célèbre Del cabelo mas sutil (Obradors) charnu à souhait, en réponse à la ferveur d’un public ivre de bonheur et de reconnaissance. A l’heure du « jeunisme » triomphant, la présence sur scène d’une septuagénaire de cette trempe avait quelque chose de réconfortant. Une impression d’éternité….

François Lesueur

Théâtre du Châtelet, 23 mai 2007

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Photo : DR

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