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Paris - Compte-rendu : Bruce Brubaker joue Glass, Curran, Haydn



Défenseur invétéré de la musique de notre temps, Bruce Brubaker (photo ci-dessus) avait étudié le piano auprès de Jacob Lateiner à la Juillard School, dont il avait lui-même rejoint le corps enseignant dès 1995. Il dirige aujourd’hui le département de piano du New England Conservatory de Boston et compte parmi ses anciens élèves Francesco Tristano Schlimé, qui garde manifestement un souvenir mémorable de ses cours de littérature pianistique. Culture encyclopédique, éclectisme revendiqué, Brubaker défend particulièrement Adams, Glass et Cage, notamment au travers de deux parutions récentes sur le label Arabesque, dont l’une présente sa propre transcription d’un fragment de Nixon in China. Confrontant Haydn et les minimalistes lors d’un récital Salle Cortot, Brubaker offre un Mad Rush de Philip Glass cotonneux et velouté à souhait, jouant des feutres plus que des marteaux pour produire le bruissement continu sur lequel s’appuient ces mélodies dépouillées.

La palette est somptueuse pour une page d’obédience répétitive : l’américain excelle à varier les couleurs autour de ce gris cendré mélancolique. C’est la clarté des lignes qui préside aux deux Sonates de Haydn Hob XVI : 50 et Hob. XVI : 39. Diversité des attaques, lumière analytique, voilà un Haydn solidement charpenté car, attentif à la carnation du son comme à l’architecture, Brubaker déploie volumes, lumières et ombres, sculptant chaque page comme un vitrail rutilant, un opéra imaginaire : attaches tranchantes ou caustiques, pâte volontiers orchestrale, chutes dans le grave nimbées de pédale et quasi sépulcrales. Brubaker amène chaque motif comme investi par une voix particulière, un instrument différent, plongeant ces partitions dans le maelström de l’univers lyrique.

Tel un anti-César, il « décompresse » ces pages dans toutes les dimensions, au risque d’être parfois plus discursif que chantant, perdant parfois de vue la continuité mélodique au profit de l’architecture. Mais l’aventure vaut largement le détour. C’est curieusement dans la musique contemporaine que Brubaker se montrera le plus charnel avec un superbe Hope Street Tunnel Blues III d’Alvin Curran (technique impeccable, maîtrise des plans sonores) et en bis un Dream de Cage méditatif et chantant, dont l’évanescence sera propice à l’épanouissement des harmoniques. Un pianiste que l’on souhaite entendre plus souvent dans l’hexagone, pour l’inventaire à la Prévert que constitue son répertoire comme pour la puissance analytique de son approche, servie par une technique sans faille.

Nicolas Baron

Paris, Salle Cortot, 5 août 2006


Photo : DR

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