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Orgia, opéra d’Hèctor Parra à la Cité de la musique - Violence et harmonie - Compte-rendu

À mettre en scène en musique et le porter sur scène un texte comme Orgia, il y a toujours un risque d’une complaisance sadique pour la douleur. L’écueil semble proche au début de l’opéra d’Hèctor Parra pour lequel Calixto Bieito a condensé la tragédie de Pasolini en un livret sonnant et efficace : un homme pendu, travesti, nous harangue, livrant dans son agonie une confession que l’on devine déjà incomplète. Après ce prologue, toute l’histoire de ce couple – L’Uomo, La Donna – se revivra en analepse. La violence des rapports humains, métonymiques d’une société qui ne se conçoit pas sans domination, sourd de chaque ligne du texte, jusqu’à l’insoutenable. La musique elle-même porte cette violence, non par la surenchère, la saturation mais au contraire par une écriture extrêmement ordonnée, où chaque instrument tient sa propre ligne. Le travail d’orchestration d’Hèctor Parra est sidérant : l’harmonie semble au cœur de chacun, le désastre dans la polyphonie. Cordes (dont un archiluth, souvent mêlé à la harpe) et vents se font face (les percussions en retrait derrière le chef), au centre de la salle des concerts de la Cité de la musique et enferment l’intrigue et les personnages dans un entrelacs que Pierre Bleuse tient fermement serré tout en laissant s’épanouir le chant de chacun des solistes de l’Ensemble intercontemporain.

Pierre Bleuse © Anne-Elise Grosbois
Une implacable intensité
Le public lui aussi est pris dans les filets du récit. Debout, partageant le parterre avec les musiciens, il est témoin et voyeur plus que spectateur de ces bribes d’histoire et de lieux que lui livre la mise en scène de Calixto Bieito – le décor étant réduit à un lit, une table et, autour, des espaces sans nom qui sont peut-être ceux du rêve, du jeu, des faux aveux ou du déni. Que croire, qui croire dans ce récit où la temporalité n’existe plus (la musique elle-même invoque l’intemporalité du mythe en citant L’Orfeo de Monteverdi ou l’Euridice de Peri) ? Celui qui pense le meurtre est-il celui qui le commet ? Quel fil de l’histoire faut-il dérouler ? À quel chant, à quel instrument faut-il s’accrocher puisque selon notre place dans la salle nous n’entendrons pas exactement la même musique ? Peut-être plus encore que lors de la création à Bilbao en 2023, dans une configuration scénique plus frontale, cette représentation parvient à une fusion extraordinaire des corps, des voix et de la musique, qui culmine dans deux scènes de folie. Le baryton Leigh Melrose, qui avait participé à la création, et la soprano Claudia Boyle, qui a appris le rôle pour l’occasion, partagent une énergie incandescente, quand la soprano Jenny Daviet (la Ragazza) fait une apparition plus ambiguë, presque apaisante, traversant la scène telle une ombre, dans une écriture moins abrupte que celle des protagonistes. Tous trois contribuent, au même titre que l’ensemble, à donner à ce septième opéra d’Hèctor Parra son implacable intensité.
Jean-Guillaume Lebrun

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Hèctor Parra, Orgia – Cité de la musique, le 22 novembre 2025.
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