Journal

Orange - Compte-rendu : Un Trouvère pépère…


Longtemps, on a cru qu’il suffisait d’un brillant quatuor vocal et d’un chef bretteur patenté pour faire flamber le parfait mélo lyrique qu’est Le Trouvère, premier chef-d’œuvre populaire de Verdi. Cette obscure histoire d’enfant enlevé, de prince à la dague rapide, de sorcière au grand cœur et de princesse amoureuse d’une voix a tout, avouez-le, pour mettre le feu au vieux théâtre romain d’Orange…pour peu que le seigneur mistral y mette un peu du sien.

Or, samedi, pour la première des deux soirées, la seconde devant avoir lieu mardi en présence du chef de l’Etat, le vent du Nord a fait patte de velours, soufflant d’ailleurs plutôt le chaud que le froid comme un vulgaire sirocco. Bref, saisi d’une soudaine paresse, Borée a abandonné à Charles Roubaud tout le soin de la mise en scène. C’est tout juste s’il a consenti à gonfler les voiles amincissants conçus par l’habile Katia Duflot pour l’imposante silhouette de la soprano américaine Susan Neves qui campait au pied du célèbre mur une Leonora plus tendre que tourmentée : une vraie nef lyrique dotée d’un filet de rossignol.

Le metteur en scène marseillais qui connaît les pièges du mur comme personne a décidé de l’habiller, ou plutôt de l’« emballer » à la manière de Christo, grâce à des projections d’images tantôt immobiles, tantôt animées, gommant ainsi allègrement Auguste et sa niche, transformant la pierre romaine successivement en oriflamme de champ de bataille ou en palais espagnol du siècle d’or, voire en Palais des papes. Ce dernier avatar n’ayant pas eu vraiment l’air de plaire à l’empereur de Rome… Pour le reste, une mise en scène traditionnelle comme l’appelle ce lieu jaloux. Ainsi du tableau bohémien avec sa demi-douzaine de braseros ou de l’ultime image qui voit Azucena transformée en Jeanne d’Arc au bûcher par la grâce d’un projecteur.

Le chef italien Gianandrea Noseda qui fait ses débuts aux Chorégies est l’assistant attitré de Valery Gergiev au Mariinski de Saint Petersbourg. Comme disaient innocemment certains musiciens de l’Opéra de Paris à propos de Nello Santi qu’ils adoraient, « on se sent en sécurité avec lui parce qu’on sait qu’avec lui, il ne peut rien se passer »… Noseda est à son affaire dans la fosse. Et force est de reconnaître qu’on a rarement dégusté à ce point le suc des timbres de l’Orchestre National de France qui s’est montré plus que parfait. Ce qui laissait à désirer, parfois, c’est le lien avec le plateau. Le chef ne ratait certes aucune entrée des solistes, mais il ne doit pas être habitué aux vastes espaces, au plein air et à ses aléas Il y a surtout qu’il est à Gergiev ce que Santi était à Abbado dans Simon Boccanegra au Palais Garnier : le talent est toujours plus pâle que le génie. Le premier reste fidèle à la lettre ou plutôt aux notes de la partition. Mais seule l’intuition dicte l’instant où il faut fouetter l’attelage pour faire flamber la musique. On en est donc resté à une lecture littérale et pépère.

Et les quatre solistes ? Celui pour qui seul Leonora n’a d’œil et d’oreille, c’est Roberto Alagna. Si la tessiture du rôle de Manrico n’est pas celle où notre ténor national est le plus à l’aise, il y conserve tout ce qui fait la qualité de son chant, à savoir la ligne, la tenue, la projection et cet élan spontané qui fait que lorsqu’il est sur les planches c’est pour gagner. Si vous me dites que parfois il triche, je n’entamerai pas la polémique, mais répondrai que c’est pour la bonne cause : celle de la musique. Car c’est toujours elle qu’il fait triompher. Vous pouvez ironiser sur la pose, cuisse avantageuse de Bonaparte au Pont d’Arcole, qu’il prend à la fin de l’air du troisième acte où tout le cirque l’attend pour le déclarer vainqueur ou vaincu : mais il l’a décroché le contre ut apocryphe du « Di quella pira… » Il a rempli son contrat. La basse coréenne Seng-Hyoun Ko s’efforce d’en faire autant, mais quelle drôle d’idée de faire chanter le Conte di Luna par l’Inquisiteur de « Don Carlo » ! La mezzo géorgienne Mzia Nioradze a repris au vol le rôle d’Azucena et s’en tire avec tous les honneurs vocaux. Mais pour un Trouvère qui donne la chair de poule, il faudra attendre un autre soir.

Jacques Doucelin

Orange, Théâtre antique, le 28 juillet 2007.

Prochaine représentation le 31 juillet

Vous souhaitez réagir à cet article ?

Programme détaillé du festival

Les autres comptes rendus de Jacques Doucelin

Vos réactions à cet article

Photo : DR

Partager par emailImprimer

Derniers articles