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Olivier Houette à l'orgue de Notre-Dame de Paris – Grandeur, élévation et poésie : un équilibre de rêve – Compte-rendu

Parmi les grands noms de l’orgue français d’aujourd’hui, Olivier Houette (photo) fait un peu figure d’exception en ce que le disque, du moins pour ce qui est de l'organiste soliste, ne joue presque aucun rôle dans le parcours du musicien. S’il figure sur quantité d’enregistrements en tant que claveciniste-continuiste, principalement avec la Simphonie du Marais de Hugo Reyne (1), très rares sont ses gravures à l’orgue (2). Pour le découvrir et l’apprécier à sa juste mesure, il reste donc le concert. On l’avait « entendu » à Notre-Dame de Paris en 2013, au clavecin, dans ce qui reste l’un des grands souvenirs de l’ère Lionel Sow : programme Campra & Charpentier (3) donné sous le grand orgue – à quand un récital en tribune ?
 
Patience hautement récompensée, dans le cadre des concerts 2017 du mardi soir, à la Saint-Valentin. Titulaire depuis 2000 de l’orgue François-Henri Clicquot (1790) de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers, l’une des merveilles de la planète orgue, la première idée, en termes de programme, aurait été d'entendre Olivier Houette dans un Grigny ou un Couperin de haut lignage : l'art de transposer cette musique qu'il connaît intimement (par la nature même de l'instrument de facture classique dont il est titulaire) sur un orgue comme celui de Notre-Dame, devenu « contemporain » au fil des restaurations et agrandissements, aurait pu offrir des chemins de traverse passionnants pour l'auditeur, d'autant que Cavaillé-Coll intégra en 1868, comme il l'avait fait à Saint-Sulpice, nombre de jeux repris de l'orgue Clicquot antérieur (1788).
 
On peut comprendre que le musicien, changeant radicalement d'univers : c'est aussi la richesse de l'orgue, ait préféré opter pour des œuvres du répertoire français des XIXe et XXe siècle en lien avec la facture de l'orgue actuel de Notre-Dame. La seule exception à ce programme français fut le Prélude en ut dièse mineur op. 3 n°2 de Rachmaninov – mais dont Louis Vierne réalisa la transcription. Pour cette altière plongée dans la palette sonore de l'instrument et l'acoustique de Notre-Dame, comme pour les deux pièces suivantes, Olivier Houette n'utilisa que la composante symphonique de Cavaillé-Coll, et pour quelle plénitude, témoignant d'une approche stylistique exemplaire et d'une élégance racée faisant appel à une registration « spontanément » optimale, certes non conçue à l'économie mais concentrée, et d'autant plus sonore.
 
Ni débordement, ni emphase, mais une sobre et profonde grandeur, un souffle mouvant, une liberté sans cesse réinventée, le tout n'en relevant pas moins d'une absolue rigueur : saisissante conciliation des contraires. À la généreuse et vivante Fantaisie en la majeur (1878) de Franck, subtilement et puissamment orchestrale, d'une structure parfaitement restituée, plurielle et d'une indéfectible cohérence, fit suite l'une des 24 Pièces de fantaisie de Vierne : Naïades (1927), fascinant et délicat mouvement perpétuel généreusement ciselé (dont la prise de risque vaut bien une suite d'Études de Chopin) sur des timbres aériens, d'un lyrisme fluide et intense au travers duquel le poète virtuose qu'est Olivier Houette sut pleinement s'exprimer.
 
La composante contemporaine de l'orgue de Notre-Dame fit soudainement irruption avec les Fantaisies de Jehan Alain, la première (1932) d'un mordant acéré particulièrement impressionnant et « moderne », la seconde (1936) exaltant de manière grandiose une œuvre puisant son inspiration dans un contexte poétique extraeuropéen. Le Lied (1932) de Gaston Litaize, souvent entendu (au détriment des autres pages splendides constituant les Douze Pièces pour grand orgue) s'éleva et retentit à la jonction même des esthétiques cumulées de l'orgue de Notre-Dame, ample et chaleureux, d'une inspiration vivifiée par l'interprète.
 
Les deux dernières pièces inscrites à ce programme, d'une continuité si pleinement sensible, confirmèrent un sentiment d'aboutissement, les moyens instrumentaux éloquents du musicien étant strictement mis au service de la musique, jamais de l'apparat du seul jeu. La Croix du Sud (2000) de Jean-Louis Florentz, d'après un poème d'amour touareg prolongeant de toute autre manière l'inspiration « arabisante » de la Deuxième Fantaisie de Jehan Alain, réaffirma ce que Franck et Alain, notamment, avait clairement laissé percevoir chez Olivier Houette : un sens de la narration extraordinairement affirmé, soit la faculté de renforcer et de raviver en permanence la cohérence des œuvres même les plus structurellement complexes, voire éclatées. Également par le choix juste et équilibré des timbres, solistes ou sous forme de masses suffisamment individualisés pour se projeter, sculptés, dans l'immense espace, comme physiquement saisissables par l'oreille. Quant à l'électrisante et percutante Toccata (1963) de Jean Guillou – sidérante précision des attaques ! –, à aucun moment elle ne donna le sentiment d'une virtuosité éprise d'elle-même, la dramaturgie, comme dans toutes les pièce de ce programme, imposant une tenue musicale ne pouvant que l'emporter sur tout autre aspect de la restitution. Du grand art, pour un public à juste titre impressionné et conquis, aussitôt gratifié en bis d'un vertigineux Vol du bourdon de Rimski-Korsakov (sans doute tel que transcrit par Léonce de Saint-Martin, successeur de Vierne à Notre-Dame), suivi de la Sinfonia de la Cantate BWV 29 de Bach, version Dupré (? – on sait que Guilmant et Isoir en ont chacun proposé une magnifique transcription), qui longtemps suppléa Vierne à ces claviers.
 
Michel Roubinet

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Paris, Cathédrale Notre-Dame, 14 février 2017
 
 
(1) www.clicquot.org/Ses-organistes-p9#.WK2XuhRxJwR
     fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Houette
Olivier Houette – qui enseigne aux Conservatoires de Paris (CNSM) et de Poitiers (CRR) – animera à l'orgue Gérald Guillemin la 24ème Académie de Chavagnes-en-Paillers (Vendée), du 19 au 23 avril 2017, au côté de Hugo Reyne (cours de flûte).
 
(2) Buxtehude et Bach, par exemple, à l’orgue Saby de Saint-Bernard de Dijon, coffret Ligia Les orgues de la Côte d’Or (2006).
 
(3) www.concertclassic.com/article/jubile-de-notre-dame-de-paris-le-triomphe-de-campra-charpentier-compte-rendu
 
Photo © DR

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