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Noli me tangere, le Pelléas et Mélisande de Bob Wilson ouvre ses ailes dans le cadre immense de la Bastille


Ce qui manquait certainement à cette production était l’espace. Le vide s’augmente sans peine, c’est une vérité physique, et les horizons infinis ouverts par le gigantesque cadre de scène de Bastille ont redonné un nouveau souffle dramatique à la mise en scène de Bob Wilson, paradoxe pour une direction d’acteur qui interdit aux protagonistes tout contact physique, l’exception étant le baiser des amants où les mains ouvertes s’effleurent.

D’où vient la magie de ce spectacle ? Pas de l’entrée de Golaud sur son lit de douleur, après son accident de chasse, glissé comme sur coussin d’air de la coulisse, où il retournera. L’effet est involontairement comique et Wilson aurait mieux fait de le laisser émerger de la ténèbre. Voici le seul bémol qu’on puisse adresser au metteur en scène et à toute son équipe venus revisiter ce qui demeure un des plus parfait objet du théâtre esthétique de la fin du XXe siècle.

Le geste de Wilson s’introduit naturellement dans la poésie de Maeterlinck, avant même que d’épouser la musique de Debussy. Là réside une part de cette adéquation parfaite : les décalages des univers de Wilson et de Maeterlinck se superposent dés la scène de la fontaine, et agissent comme des calques, créant des transparences qui sondent les âmes des protagonistes. L’usage des éclairages contrastés fait songer aux plus belles lumières des films noir et blanc (Fritz Lang souvent ou La Nuit du chasseur de Charles Laughton), en pliant la couleur à l’expression des émotions et en réduisant l’espace (la remontée des souterrains, où Golaud et Pelléas se retrouvent dans une bande de lumière collée aux cintres, tout le reste du dispositif passant en fondu au noir), ou en le creusant jusqu aux limites de la scène dont Golaud viendra en une interminable diagonale pour accomplir le fratricide.

On ne vous en dira pas plus, le spectacle est assez miraculeux, la scène de la tour, ce pont aux ânes des mises en scènes de Pelléas et Mélisande, un moment d’émotion lunaire qui demeurera dans toutes les imaginations (il semble même qu’avec son évident décalage entre les protagonistes, encore renforcé à Bastille, Wilson ait trouvé la solution idéale).

Sylvain Cambreling avait fait remonter la fosse et opté pour une disposition bipolaire de l’orchestre : bassons, clarinettes, flûtes, harpes, violons de gauche à droite du chef, contrebasses et altos en face, percussion, tuba, cors, violoncelles de droite à gauche. La magie de l’univers sonore debussyste opérait naturellement avec un tel dispositif, qu’il faudrait d’ailleurs appliquer à toutes les œuvres orchestralement abouties du répertoire lyrique. Un début trop retenu trouvait vite sa ligne de tension, et Cambreling a offert une lecture du cinquième acte d’une puissance dramatique jamais entendue.

En scène les blondeurs de Keenlyside et de Delunsch donnaient un parfum d’Eternel Retour (avec tout ce que cela comporte de références tristanesques) au drame : leur couple, physiquement comme vocalement, resplendissait. Van Dam déclamait son Golaud qu’il ne peut plus chanter à quelques rares exceptions près, mais sa présence dramatique est si intense, le personnage l’habite si totalement que cela n’a au fond guère d’importance. Une Geneviève fâchée avec son français (Dagmar Peckova), un Arkel au timbre abyssal mais captif étaient contrebalancés par un Yniold en culottes François 1er délicieusement flûté et par un Docteur terrible de douceur (Frédéric Caton).

Mélisande est morte, elle se relève et continue son voyage. Echappée de chez Barbe-Bleue, tuée par un amour, elle s’approche de la salle. La lumière peut s’éteindre, laissant les mystères de l’âme humaine irrésolus.

Jean-Charles Hoffelé

Première de la reprise de Pelléas et Mélisande, Opéra Bastille le 13 septembre 2004, puis les 16, 20, 23, 25 29 septembre et le 2 octobre

Photos : Eric Mahoudeau

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