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Nicolas Courjal interprète Fernand de La Tombelle au Palazzetto Bru Zane - Fougue sentimentale - Compte-rendu

Fidèle à sa mission d'exploration et de valorisation du répertoire français du XIXème siècle, le Palazzetto Bru Zane - Centre de Musique Romantique Française poursuit son cycle de redécouverte des compositeurs oubliés des années 1880. Après Benjamin Godard ou Théodore Dubois, il consacre jusqu'au 11 mai (1) un festival à Ferdinand de La Tombelle (1854-1928), élève de Dubois(2), entre autres. Artiste protéiforme et prolifique, peintre, photographe, écrivain et dessinateur aussi bien que compositeur dont le catalogue musical est lui-même riche d'une grande variété de genres, il a notamment laissé un répertoire de mélodies non négligeable avec une centaine de pièces cataloguées aujourd'hui grâce au travail du Centre.

Le ténor Yann Beuron en a donné quelques-unes à l'occasion d'un précédent concert du festival, le très francophile baryton grec Tassis Christoyannis en a réuni une vingtaine sur un disque (tout juste publié par le Palazzetto Bru Zane chez Aparté (3)), et la basse Nicolas Courjal lui consacre l'intégralité de son récital. Panache d'un artiste qui revendique d'être un bosseur et qui le prouve encore avec ce programme entièrement nouveau, plus que rare, qui reste donc un investissement à défendre dans le futur. Ce que l'on découvre à l'occasion de ce concert (et à l'écoute du CD) laisse penser que cette musique au romantisme contemplatif ou tourmenté le mérite largement et que, sans renier Duparc ou Fauré, la remettre à l'honneur est plutôt une bonne nouvelle pour nos oreilles.
 
Nicolas Courjal a concocté un programme intelligemment équilibré de treize titres en forme de parcours-découverte parmi les sonorités de La Tombelle et des thèmes qui, sur des textes anonymes ou de la plume de poètes illustres ou inconnus, font évidemment la part belle à la célébration de la nature, à l'âme et aux sentiments exaltés ou tourmentés, mais pas que. Musique de salon par excellence, ces mélodies trouvent un cadre idéal dans les dimensions presque intimes de la salle du palazzetto, en plus d'y gagner le public supplémentaire et extatique des extraordinaires putti de stuc qui peuplent le plafond magnifiquement décoré. Mais que l'on ne s'y trompe pas, le romantisme de Nicolas Courjal ne donne pas dans l'angélisme béat, mais alors pas du tout.
 
Il nous saisit d'emblée en imprimant une vigueur dramatique aux "tourbillons de pourpre et d'ombre" du Coucher de Soleil sur un texte de Leconte de Lisle. Dès cette première pièce, tout est dit de la richesse du timbre, de la conduite de la voix, du legato, des graves sculptés sans limites, ... et d'une diction qui, quoique soignée, tend à s'émousser dans le volume sonore plus que généreux ; la mélodie française ne pardonne rien et les dimensions de la salle s'accommoderaient d'ailleurs d'une moindre puissance. La Promenade nocturne qui suit, sur une poésie de Théophile Gautier, confirme ce choix de dramatisation expressive qui parcourt une grande partie du récital et illustre, avec quelques autres titres qu’ils ont tous deux choisis, que l’on est aux antipodes de la proposition au disque de Tassis Christoyannis, tout autre empreinte vocale, mais surtout interprétation infiniment plus retenue, d'une délicatesse parfois éthérée.
 
A force d'engagement et de lyrisme aussi soutenu, on frise d'ailleurs l'excès de véhémence en réponse au poète inconnu qui se fait un peu rembarrer lorsqu'il interroge Veux-tu les chansons de la plaine ? On comprend également l'effroi de la rose à peine éclose de Georges Boutelleau dans Pourquoi ? Et encore Ischia, tirée des vers de Lamartine, sonne plus comme un impérieux commandement qu'une invitation enivrée. Mais Nicolas Courjal s’approprie néanmoins totalement cette Ischia et l’investit d'une dimension théâtrale qui n'est pas la moindre des qualités dans un programme flambant neuf. Comme pour le bravache Cavalier mongol, grande cavalcade avec interlude exotisant de pacotille qui n'est pas la plus grande réussite du compositeur mais se trouve sauvée par la force de conviction du chanteur, ou encore Les Tisserands, incursion vers un romantisme social sans fard, sept strophes glaçantes et captivantes de présence scénique.
 
Mais ce récital n’est pas fait que de fiers ou douloureux accents vigoureusement soulignés. Avec la complicité attentive d’Antoine Palloc, son accompagnateur de prédilection qu’il partage avec une myriade de noms fameux,  la basse, portée par les arpèges suspendus au piano, trouve dans Les Reliques versifiées par Gabriel Duclos la voie d’une élévation mystique très noble, sans l’ombre d’un affect sulpicien. Sur une poésie de Paul Rabot, Chanson de grève, il pare sa complainte de contrastes poignants, et sur celle de Théophile Gautier il donne à l’inverse aux Papillons à la voix étonnamment grave une grâce virevoltante et élégante dénuée de mièvrerie.
 
Cohérence d’époque et politesse envers le public, la basse conclut ce concert par un bis en italien avec la bien nommée Malia, de Tosti, où le charme, justement, opère avec la fluidité évidente d’une pièce bien rodée qui séduit à l’évidence autant l’interprète que son public. Il n’y a plus qu’à porter la bonne parole avec Nicolas Courjal pour que les mélodies de la Tombelle connaissent le même sort d’œuvres à succès.
 
Philippe Carbonnel

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(1) Festival de La Tombelle au PBZ, interview d’Alexandre Dratwicki : www.concertclassic.com/article/festival-fernand-de-la-tombelle-du-palazzetto-bru-zane-une-interview-dalexandre-dratwicki
 
(2) Les Archives du Siècle Romantique n° 8 – Lettre de Théodore Dubois à Fernand de La Tombelle : www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-ndeg-8-trois-lettres-de-theodore-dubois-fernand-de-la
 
(3) 23 mélodies : Tassis Christoynannis (bar.) & Jeff Cohen (piano) / 1 CD Aparté AP 148, dist. PIAS
 
 
Venise, Palazzetto Bru Zane, 27 avril 2017
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