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Natalie Dessay selon six personnalités féminines célèbres

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Violetta par Dominique Blanc

« Même si Traviata vient du théâtre, Verdi va beaucoup plus loin qu’Alexandre Dumas.
Toutes les actrices peuvent donc envier les cantatrices qui
chantent ce rôle. L’immense besoin d’amour de Violetta
dépasse le seul cadre de la sensibilité du XIXe siècle. Ce
n’est plus un mélodrame bourgeois (aussi émouvant soit-il),
c’est une tragédie, que l’on peut relier à Phèdre de Racine
ou au théâtre antique. Dans l’opéra de Verdi, l’héroïne
meurt sur scène, ce qui était inconcevable à l’époque
classique et ce qui est très agréable à pratiquer pour une
actrice.

L’utilisation du parlé chanté dès
le premier acte, les sanglots, la respiration, les silences font
vivre intensément le drame. Le public entend une âme qui
se déchire. On voit ses larmes.

Natalie Dessay est à la fois
virtuose et grandiose. Dans les deux mots, il y a « ose ».
Si elle est grande, c’est qu’elle ose. Sa présence scénique
stupéfiante et rare chez les chanteurs, son énergie et son
humour en font une comédienne superbe. Elle n’est pas de
celles qui jouent, elle incarne. »

Elvira par Julie Depardieu

« L’opéra doit tirer les larmes, terrifier les gens, les faire mourir par le chant. » (Vincenzo
Bellini). C'est exactement ce que l’on ressent avec Natalie
Dessay, dont le coeur hurle lors de cette fameuse scène de
la Folie des Puritains. Comment ne pas être emporté
lorsqu’elle se jette à coeur perdu dans l'immense douleur
d’Elvira ?

À travers ses larmes, résonnent
les combats perdus d’avance des femmes amoureuses,
face à l’implacable logique du pouvoir.
Et nous, pauvres auditeurs
parcourus de frissons, nous épousons sa détresse en laissant
couler nos pleurs.

Mission accomplie pour Natalie,
toujours audacieuse dans ses choix. En femme libre,
elle n'a pas supporté les emplois dans lesquels une certaine
tradition lyrique a voulu la cantonner.
Depuis quand une actrice
devrait-elle toujours jouer le même rôle ??

Maria-Stuarda par Charlotte Rampling

« Marie Stuart est un personnage
extraordinaire avec une vie riche en rebondissements,
qui traverse l’histoire des nations au XVIe siècle. Reine
d’Écosse à 7 jours, reine de France à 17 ans, morte sur
l’échafaud pour avoir voulu accéder au trône
d’Angleterre…

J’ai été marquée par la lecture
du livre de Stefan Zweig et touchée par la très belle
interprétation d’Isabelle Adjani dans la pièce de Schiller.
Évidemment, c’est toujours réducteur de ramener
une personnalité aussi riche à quelques scènes aussi fortes
soient-elles. C’est encore plus vrai au cinéma : voir le
personnage ferme la porte de notre imaginaire.
La musique, au contraire, nous en rend les clés.

Ma fascination pour Marie Stuart
vient de son immense force de survie, presque surnaturelle,
qui lui est donnée par la foi. Elle passe tout de même vingt
ans de sa vie en prison sans jamais cesser d’y croire.

Les plus grands artistes sont aussi
animés par une foi indestructible, presque maladive, pour
quelque chose d’immensément grand, qui les dépasse et
qui rejoint une forme d’illumination religieuse. En chantant
à l’opéra avec un niveau d’exigence aussi élevé, Natalie
Dessay, se donne totalement pour un art, dont elle sait qu’il
est beaucoup plus intéressant qu’elle-même. La foi qui
l’anime sur une scène semble indiquer qu’elle n’est pas
prête d’abdiquer du théâtre musical. »

Gilda par Françoise Fabian

« Comme Agnès dans « Les femmes savantes », Gilda est une jeune fille séduisante et
pure, très surveillée par son père. Elle est la seule joie sur
terre de ce bouffon difforme, lourde responsabilité qui pèse
sur ses épaules.

La tragédie est inévitable lorsque Gilda tombe amoureuse d’un personnage frivole et
qu’elle commence, inévitablement, à mentir à son père.
Victime de son innocence et aveuglée par la découverte toute fraîche de la sensualité,
elle est livrée à sa destinée malheureuse. Habituée à être
cloîtrée, elle se retrouve absolument sans défenses face
aux pièges du monde réel. Marchant dans les pas de Victor
Hugo (« Le roi s’amuse »), Verdi n’épargne aucune
souffrance à ce coeur simple. Les femmes chez Mozart
savaient davantage se battre.

Gilda vit un déchirement. Son sentiment de culpabilité est très touchant : elle passe
son temps à demander pardon à son père. Pardon de le
faire souffrir, pardon d’aimer et même pardon de mourir.
Comme Marion Delorme (Hugo encore), Gilda est rachetée par la sincérité de ses
sentiments. C’est grâce à son amour filial, qu’elle gagne
son paradis. Je suis impatiente d’entendre Natalie Dessay
dans ce rôle. Sa voix est un théâtre pour l’oreille. »

Giulietta par Juliette

Shakespeare m’a toujours attiré, à cause du mélange des genres. L’humour lui chatouille
toujours la plume, même au beau milieu d’une situation
tragique. « Roméo et Juliette » ne fait pas exception à la
règle. Quand Juliette se réveille de son long sommeil, dans
le tombeau des Capulet, et qu’elle aperçoit la fiole de
poison à côté du corps de son Roméo (c’est le cas de le
dire) elle dit quelque chose comme : « Ah, le salaud, il ne
m’en a pas laissé une goutte ! » Et, hop, elle se tue. Malgré
ses quinze petites années, elle sait ce qu’elle veut, Juliette.
En s’opposant à son entourage, en allant jusqu’à la mort, c’est
une ado avant la lettre, à une époque qui n’a pas connu
Françoise Dolto et pour qui l’adolescence était un passage,
pas l’état de révolte permanente qu’on connaît bien.

Je vais sans doute vous décevoir, mais le prénom de Juliette m’a été donné à
cause d’une tante de ma mère et pas du tout en référence
aux Amants de Vérone. Je ne ressemble pas à la Juliette de
Shakespeare parce que l’amour seul ne dirige pas ma vie.
Juliette, c’est d’abord un couple, un beau couple, mais
rien qu’un couple. Comme tout mythe qui se respecte, elle
ne vieillira jamais et c’est tant mieux car on ne l’imagine
pas crier « À table ! » pour faire accourir une demi-douzaine
de mioches affamés.

Natalie Dessay me paraît faite pour Shakespeare. Car elle s’investit à fond dans son rôle,
tout en gardant de la distance et de la fantaisie. Elle n’est
pas d’un bloc. Elle est complexe. L’opéra se régale de ses
multiples facettes. »

lucia di lammermoor par Fanny Ardant

Ce que j'aime dans Lucia de Lamermoor c'est que la folie nous préserve de la réalité
quand celle-ci pourrait détruire ce que nous sommes
vraiment. Atteinte au plus profond, l'héroïne se réfugie dans
un monde où plus personne ne peut l'atteindre. Sombre
tragédie, « Lucia » ? J'y ai toujours vu un opéra d'une
grande clarté. Tellement clair qu'on a envie de s'envoler
avec elle plutôt que de pactiser avec le monde réel. La
folie permet d'échapper à la pesanteur, à la défaite, à la
laideur. C'est la grâce accordée à ceux qui sont touchés
par un grand malheur, que rien ne pourra réparer.

Lucia a du génie. Après n'avoir vécu que pour un amour fou, elle arrête le jeu, elle fige le
cours des choses et rien ne se dégradera jamais.
Elle « suspend » quand les autres ne parlent que de « bâtir ».
C'est sa force, sa victoire et sa beauté.

Dans la production que j'ai vue à l'Opéra de Paris, Natalie Dessay m'a fait penser à un
champion de boxe. Sa souplesse, sa puissance et son art
de l'esquive m'ont éblouie. le grand boxeur, c'est celui qui
esquive, pas celui qui frappe.
Elle allège l'opéra du sanglot.
Elle fait de Lucia une elfe.

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