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Nancy - Compte-rendu : Andrea Chénier - Un souffle révolutionnaire


Habile solution que celle proposée par Jean-Louis Martinoty pour son Andrea Chénier sur la scène de l’Opéra National de Lorraine. D’immenses panneaux habillés d’une reproduction du « Serment du jeu de paume » de David permettent une scénographie à géométrie variable. Elle ouvre de grands espaces pour les scènes de foule ou permet d’enfermer progressivement un trio de protagonistes dont la seule « vraie » passion est la conscience de l’impossibilité du bonheur.

D’ingénieuses trouvailles émaillent la vision très cohérente du metteur en scène. Impressionnants les mannequins de cire dans le boudoir de la Comtesse - ils soulignent la futilité d’un monde appeler à disparaître. Belle conclusion du premier acte avec des fils qui descendent des cintres et transforment ces fantômes, d’un passé bientôt révolu, en marionnettes. Ô combien grotesque mais juste la révérence de Chénier à ses juges sur les ultimes accords qui ponctuent sa condamnation à mort. Saisissante cette guillotine dont l’ombre grandit au fur et à mesure que l’échéance fatale approche.

Martina Serafin, entendue in loco dans la Maréchale du Rosenkavalier et que l’on n’attendait pas dans le grand soprano lyrique que demande Madeleine de Coigny, irradie la scène de sa présence. La voix est conduite une grande intelligence et le médium corsé ne vient en rien gêner des aigus rayonnants. Les deux grands duos avec Chénier sont superbes, tandis « La mamma morta » fait passer un frisson dans la salle et rappelle les grands moments de la Tebaldi dans ce rôle.

A Carlo Scibelli incombe la rude tâche de remplacer dans le rôle du poète Sergeï Larin récemment décédé - l’Opéra National de Lorraine, soit dit en passant, aurait pu rendre hommage à ce dernier… Si la voix d’une grande souplesse se double d’un médium sonore, sa façon de donner les aigus - dieu sait si le rôle en comporte ! – s’avère peu orthodoxe. Légèrement ouverts au début de l’émission, ils mettent en péril une ligne de chant qui ne demande pourtant qu’à s’épanouir. Malgré ce défaut, dû sans doute à un rôle éprouvant, sa prestation aux côtés de Martina Serafin réserve de sublimes instants et culmine dans les deux grands duos que comporte la partition.

Piero Guarnera, baryton racé et élégant au timbre d’une infinie douceur, sait exprimer les sentiments diffus qui animent son personnage. Le troisième tableau est une variation de couleurs savamment dosées ; sa confrontation avec Madeleine passe, par une alternance d’aigus puissants et de sublimes demi-teintes, de la concupiscence à une profonde pitié.

Heureuse découverte que la basse chinoise Wenwei Zhang dans le personnage de Roucher : timbre de bronze, la ligne de chant parfaite ; un futur Gérard se cache dans cette voix aux aigus faciles et bien projetés. Michèle Lagrange réussit, par sa connaissance du métier, une double composition remarquée. Le contraste entre sa Comtesse de Coigny, prétentieuse et totalement hors de la réalité, et une Madelon émouvante de simplicité est la leçon d’une grande chanteuse. Eric Huchet compose un « Inc’oyable » plus vrai que nature, et Diana Auxentii campe une savoureuse Bersi.

Paolo Olmi directeur musical de l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy transcende un orchestre au meilleur de sa forme. Sa battue précise, sa connaissance aboutie de ce répertoire lui permettent de toujours trouver le climat sonore approprié et de passer de la douceur impalpable à une déferlante sonore sans jamais couvrir les voix. Les cordes chantent avec souplesse, les cuivres, à la sonorité profonde, parent le tissu orchestral sans jamais plomber celui-ci. La petite harmonie gazouille dans la Pastorale du premier acte et sait se faire grinçante à bon escient (tableau du Jugement). Une mention spéciale enfin au violoncelle solo de Pierre Fourcade pour sa chaleur et son émotion (« La mamma morta »). Un des meilleurs spectacles vus à Nancy depuis bien longtemps.

Bernard Niedda

Giordano : Andrea Chénier, Opéra de Nancy et de Lorraine, le 13 mars 2008

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Photo : DR

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