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​Moro per amore de Stradella inaugure le Festival Barocco de Viterbe 2022 – L’amour lave plus blanc – compte rendu

De Stradella, on ne connaissait guère autrefois que l’oratorio San Giovanni Battista, mais depuis quelques années, le gambiste et chef d’orchestre Andrea De Carlo (photo) a entrepris de révéler aux mélomanes l’étonnante diversité de ce compositeur, toute une série de disques publiés par le label Arcana se faisant l’écho des résurrections entreprises avec la complicité de son ensemble Mare Nostrum.
Après quelques oratorios, puis le coup d’éclat qu’avait été La Doriclea sorti en 2017, c’est cette année le tour de l’ultime opéra de Stradella (mort assassiné en 1682, à moins de quarante ans), Moro per amore. Il y est à nouveau question d’amour travesti, mais cette fois, c’est un prince qui a recours au procédé aujourd’hui si controversé du blackface pour observer sa belle à l’insu de celle-ci : audace suprême,  Eurinda, reine de Sicile, s’éprend du « Maure par amour » (non sans beaucoup de jeux de mots sur moro, « maure » et « je meurs ») qu’elle épousera une fois démaquillé, tandis que se forment autour d’elle deux autres couples, celui de sa dame d’atours Lucinda qui, malgré ses vues sur le faux Maure, se résigne finalement à épouser l’ambassadeur napolitain, et celui que sa nourrice dont l’appétit sexuel gargantuesque se satisfait en croquant un jeune page, sous le regard bienveillant du sage conseiller qui a supervisé le stratagème grâce auquel l’imbroglio est finalement dénoué. Sur cette intrigue riche en rebondissements et en affects, autour de sept personnages seulement, Stradella a su varier les formes instrumentales et vocales, avec notamment quelques déplorations ou airs de fureur qui, quelques décennies plus tard, allaient montrer la voie au jeune Haendel venu apprendre son métier en Italie.
 

Le Palais Farnèse à Caprarola (Latium) © wiki.org
 
Andrea De Carlo s’empare de cette musique avec passion et sait à merveille lui redonner vie, notamment en identifiant les emprunts à des genres populaires ou étrangers que s’est autorisés Stradella (on pense par exemple au fandango que chante l’ambassadeur du royaume – espagnol – de Naples). Sous sa direction, les neuf instrumentistes réunis dans le cadre somptueux du palais Farnèse de Caprarola offrent toute la richesse de couleurs et l’énergie rythmique souhaitables pour une semblable redécouverte, même s’il ne s’agit pas cette fois de la toute première interprétation à l’époque moderne.
 

L'ensemble Mare Nostrum © DR
 
Quant aux sept chanteurs, si l’on ne rencontre parmi eux aucune star du baroque, ils n’en sont pas moins totalement admirables par leur art comme par l’enthousiasme qu’ils mettent au service de la partition. Héritant comme il se doit des airs les plus exigeants de l’opéra, Silvia Frigato est une Eurinda ardente et pleine d’autorité, maîtrisant sans effort apparent les écarts de son air « Furie terribili ». Peut-être plus haute-contre à la française que véritablement contre-ténor au sens où l’on entend aujourd’hui, Danilo Pastore prête une grande sensibilité au rôle-titre, jouant de ses différents registres pour camper le héros déguisé. La mezzo Margarita Slepakova émeut dans les nombreux lamentos confiés à la suivante Lucinda, dont elle sait traduire le tourment amoureux, tandis que la contralto Eleonora Filipponi se montre irrésistible dans le rôle de la nourrice-ogresse qu’elle incarne avec humour et gourmandise, ses graves sonores ne passant pas inaperçus. L’ambassadeur Filandro bénéficie du beau timbre du ténor Matteo Straffi, très investi dans son rôle. Le sopraniste Federico Fiorio campe un fort réjouissant page Fiorino, la basse Masashi Tomosugi conférant au conseiller Rodrigo toute la gravitas qui sied à son personnage.
 
Après cette version écourtée pour les nécessités du concert, on a hâte de découvrir l’intégralité de l’œuvre grâce à l’enregistrement réalisé au cours des journées précédentes, qui permettra sans aucun doute de mieux apprécier encore la prestation des chanteurs, l’acoustique de la salle du Palais Farnèse ayant tendance à mettre plus en avant les instrumentistes. On en remercie par avance Andrea De Carlo, en souhaitant que son entreprise de redécouverte des œuvres d’Alessandro Stradella se poursuive longtemps encore et avec toujours autant de succès. Quant au Festival Barocco de Viterbe, consacré à ce compositeur, il se prolonge jusqu'au 30 septembre.
 
Laurent Bury

A. Stradella :  Moro per amore - Caprarola (Italie, Latium), Palais Farnèse, 31 août 2022 / Festival Barocco Alessandro Stradella; jusqu’au 30 septembre : www.festivalstradella.org/program-2022/
 

Photo © Cristina Rezzi

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