Riche actualité pour la pianiste Momo Kodama qui, parallèlement à la parution d’un CD Hosokawa-Mozart sous la direction de Seiji Ozawa chez ECM, joue (sur les ondes de France Musique en direct de la Maison de la Radio) Messiaen et Szymanowski ce 25 mars, sous la baguette de Thomas Søndergård et avec l’Orchestre National de France, avant de retrouver le Festival de Pâques d’Aix pour une intégrale des Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus diffusée en streaming le 1er avril.
 
« Il me semblait dommage que cet enregistrement ne sorte pas. » On ne peut qu’approuver Momo Kodama en cédant à l’émerveillement poétique procuré par le live réunissant le 23e Concerto KV 488 de Mozart et le concerto Lotus under the moonlight de Toshio Hosokawa enregistré au Japon en décembre 2006, avec le Mito Chamber Orchestra conduit par Seiji Ozawa. (1)
2006, année du 250e anniversaire de la naissance de Mozart, a rimé pour la pianiste japonaise avec ces deux œuvres, indissociables. C’est en effet en hommage à l’auteur de Don Giovanni que le compositeur japonais à écrit son ouvrage pour piano et orchestre.
 

Hommage à Mozart

Commande de la Norddeutscher Rundfunk, Lotus under the moonlight fut créé le 7 avril 2006 à Hambourg (Laeiszhalle) par Momo Kodama, sa dédicataire, et Jun Märkl à la tête de l’Orchestre de la NDR. L’anniversaire Mozart aura aussi amené la pianiste à donner l’œuvre aux Etats-Unis, avec son beau-frère Kent Nagano, en France avec François-Xavier Roth, et donc au Japon, à la toute fin de 2006, avec Seiji Ozawa.
Depuis, la bande dormait dans un tiroir, occultée par le premier enregistrement mondial en studio que Momo Kodama a réalisé en juin 2013 pour Naxos, avec Jun Märkl et le Royal Scottish Orchestra. Grâce à ECM, l’enregistrement de la création japonaise de Lotus under the Moonlight est désormais disponible.
 
Toshio Hosokawa (né en 1955) a certes pris comme point de départ le mouvement lent du 23e Concerto pour piano, mais on ne trouve rien ici qui relève de quelque manière que ce soit d’un pastiche de l’Autrichien. Loin de là ! Profondément ancrée dans la culture japonaise, la pièce (d’un seul tenant et d’un grosse vingtaine de minutes) marque une étape clef dans le parcours de son auteur. « Bien qu’excellent pianiste, Hosokawa, avait peu composé pour l’instrument jusqu’à cette partition, sa première œuvre importante pour le piano, souligne Momo Kodama. Elle aura été un déclencheur et des réalisations non moins marquantes ont suivi, telles que Etude I-VI (2011-2013) (2) ou le quatuor avec piano The Water of Lethe (2016) »
 

Toshio Hosokawa © Kaz Ishikawa

La mystérieuse énergie de l’univers 

Lotus under the moonlight (Lotus au clair de lune) ? Emblématique du bouddhisme, la fleur de lotus est ici symbolisée par le piano, tandis que l’orchestre évoque l’environnement aquatique et l'univers, selon le compositeur. Il ne s’agit pas, précise-t-il, de « décrire » l’éclosion de la fleur mais plutôt de traduire « la mystérieuse énergie de l’univers » qui la suscite. S’il est un seul et unique qualificatif à retenir pour caractériser l’ouvrage c’est bien celui de mystérieux.
 
« Le piano se révèle très parlant, note Momo Kodama, le compositeur fait un usage extrêmement poussé des résonances et déploie des nuances, des couleurs très subtiles. L’esprit du Nô est présent ; le temps s’étire ; il est autre que celui du battement du cœur. J’ai vraiment compris l’œuvre en observant un joueur de Shakuhachi (instrument à vent traditionnel japonais ndr) et en le voyant prendre une grande respiration avant de faire sortir le son, comme de l’encre que l’on jette sur le papier. L’écriture est très classique, à quatre temps, mais avec un léger décalage par rapport au temps, ce qui introduit une dimension flottante ».
 

Seiji Ozawa © DR

Saisir les nuances infinies de la partition

La magie de l’enregistrement de Lotus under the moonlight tient évidemment aussi à l’intensité du dialogue entre Momo Kodama et Seiji Ozawa. « Il a pris cette création très au sérieux, se souvient la pianiste, nous avons répété pendant trois jours de façon très minutieuse, en présence du compositeur, afin de saisir au plus près les nuances infinies de la partition. »
Quant au Concerto en la majeur KV 488, donné lors du même concert à Mito, il saisit et émeut tout autant par sa lumineuse et humaine poésie, rendue plus prégnante encore lorsqu’on l’écoute à la suite de chef-d’œuvre Hosokawa, que Momo Kodama a joué une bonne vingtaine de fois en concert depuis sa création. 
 

Thomas Søndergard © Andy Buchanan

Une explosion de joie

Une autre partition familière va bientôt l’occuper avec l’Orchestre National de France (3) : les Oiseaux exotiques de Messiaen, composition dont elle retrouve toujours avec le même bonheur les couleurs bigarrées et intenses. Mais ce concert sans public radiodiffusé sera aussi l’occasion d’une première avec la Symphonie concertante de Szymanowski, que la pianiste a montée spécialement pour l’occasion. «Une œuvre trop peu jouée, qui se termine par une explosion de joie. Elle viendra conclure un programme plein d’énergie car, entre Messiaen et Szymanowski, on découvrira en création mondiale The Wonder Of Life pour orchestre(d’après un choral de Bach) de Régis Campo » (une commande de la Maison de la musique contemporaine dans le cadre du Grand Prix Lycéen des compositeurs).
Séduisant programme, à découvrir le 25 mars à 20h sur France Musique ; on l’attend avec d’autant plus d’impatience qu’il marque la première collaboration de la soliste avec l’excellent Thomas Søndergård.
 
Voyage musical

Une semaine plus tard exactement, Momo Kodama sera à Aix Provence, toujours sans public mais avec l’image en plus du son, pour un streaming en direct du Grand Théâtre de Provence. Et pour Messiaen à nouveau. Elle y donnera les Vingt Regards du l’Enfant-Jésus, cycle quelle connaît intimement pour l’avoir souvent abordé en concert – et enregistré pour Triton en 2009. « Un incroyable voyage musical ; une œuvre dans laquelle je découvre des choses nouvelles à chaque fois que j’y reviens », confie-t-elle, visiblement impatiente de ces retrouvailles.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Momo Kodama réalisé le 20 mars 2021)

 
Voir la vidéo de présentation de l'album Point an Line réalisé par Concertclassic

(1) 1 CD ECM new Series
 
(2) Des pièces que Momo Kodama a superbement enregistrées pour ECM, au sein d’un récital « Point and Line » où elles se mêlent harmonieusement à des pages de Claude Debussy.
Elle a par ailleurs donné la création française d’Etude I-VI à la Maison de la Culture du Japon le 31 janvier 2017 : www.concertclassic.com/article/momo-kodama-en-recital-la-maison-de-la-culture-du-japon-calligraphie-pianistique
  
(3) www.maisondelaradio.fr/evenement/concert-symphonique/oiseaux-exotiques-momo-kodama
 
4) festivalpaques.com/editions/2021/momo-kodama

Photo © Marco Borggreve