Journal
Médée et Jason par Les Surprises au Grand Manège de Namur (reprise à Limoges les 6 & 7 mars) – Viva la torera ! – Compte-rendu
Lucile Richardot. Un nom qui s’est imposé dans le paysage musical français, en l’espace d’une décennie. Il n’y a pas si longtemps, elle était la Mort et la marchande de journaux dans le diptyque Rossignol/Mamelles de Tirésias au Théâtre des Champs-Elysées, et c’est presque sous le même visage qu’on la retrouve dans cette parodie concoctée par Louis-Noël Bestion de Camboulas, avec une Médée qui arrive à Corinthe sanglée dans une tenue de toréador-squelette (photo), le visage maquillé en tête de mort. Et dès que Lucile Richardot entre en scène, le spectacle prend naturellement une autre dimension.
Sans rien perdre de son humour pipi-caca-prout (eh oui, nos ancêtres ne faisaient pas toujours dans la dentelle), ce Médée et Jason acquiert une envergure nouvelle avec l’apparition de la magicienne. Quand on entend de quoi la chanteuse est capable, et quand on voit quelle actrice elle sait être dans tous les registres – car cette parodie d’opéra n’exclut heureusement pas quelques moments sérieux – on se demande vraiment pourquoi personne n’a encore eu l’idée de monter un grand spectacle autour d’elle dans un rôle de premier plan. Devrons-nous attendre encore longtemps pour applaudir la tragédienne dans des personnages à sa mesure ?
© Gabriel Balaguera
Bien sûr, on le sait, le baroque coûte cher, et les caisses sont vides (sauf à l’Opéra de Paris, qui affichera enfin la Médée de Charpentier en avril prochain). Que peut faire alors un chef aussi inspiré et inventif que Louis-Noël Bestion de Camboulas, si aucun théâtre n’a les moyens de lui confier une tragédie lyrique à monter en version scénique ? Chercher une autre formule, moins onéreuse, plus souple. Un Lully ou un Rameau exige un gros orchestre, un grand chœur, un corps de ballet et toute une brochette de solistes ? Eh bien, on fera en sorte de s’en passer.
L’ensemble Les Surprises réduit à huit instrumentistes dirigés du clavecin feront également office de chœur. Deux danseurs chanteront également, et ils seront rejoints dans les jeux de Terpsichore par un metteur en scène à qui le jarret ne manque pas (et comme ledit Pierre Lebon chante aussi, joue les récitants, et a conçu la scénographie et les costumes, on limite vraiment les effectifs). Pas de chœur qui soit exclusivement un chœur, donc, et cinq solistes pour les rôles principaux. Le tout coproduit par une petite dizaine d’institutions, dont plusieurs n’ont pas de fosse, d’où la nécessité de concevoir un spectacle tout-terrain et, tant qu’à faire, tout public – à partir de 10 ans, nous assure-t-on.
© Gabriel Balaguera
Une représentation courte, de 75 minutes sans entracte, et qui cherche surtout à faire rire, comme le faisaient les parodies d’opéra autrefois. A Namur, le public met un certain temps à trouver cela drôle, peut-être parce que le début est un peu laborieux tout de même et que le comique n’est pas toujours du plus fin. On entend quand même beaucoup de belle musique, parce que les concepteurs sont allés chercher des extraits de tragédies de Rameau, Lully, de la Médée de Charpentier, forcément, et du Médée et Jason de François-Joseph Salomon (1713). Et parce que les chanteurs sont des interprètes habitués de ce répertoire. Sauf peut-être Flannan Obé, qu’on associe davantage à l’opérette, mais dont l’aisance dans l’aigu justifierait qu’on lui confie des rôles de haute-contre dans les divertissements, à défaut des héros.
Ingrid Perruche, qu’on a entendue superbe dans Lully dirigé par Christophe Rousset, est une Créuse niaise à souhait, mais il lui est du moins permis de joindre sa voix à celle d’Eugénie Lefebvre pour un charmant duo, ladite Eugénie Lefebvre se voyant confier la magnifique déploration de Jason qui conclut (presque) le spectacle sur une note grandiose. Matthieu Lécroart est un Créon qui sucre les fraises, mais glorieusement en voix. Quant à Lucile Richardot, on ne peut que redire toute l’admiration qu’inspire sa prestation. Maintenant, nous aimerions les mêmes artistes dans un vrai grand spectacle qui coûte cher. Merci d’avance.
Laurent Bury
Namur Concert Hall, jeudi 15 février ; prochaines représentations les 6 et 7 mars 2024 à l’Opéra de Limoges // www.operalimoges.fr/medee-et-jason
Photo © Gabriel Balaguera
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