Journal
Mayerling de Kenneth MacMillan au Palais Garnier – Déprime et décadence – Compte-rendu
Voici à nouveau, car le ballet de l’Opéra en a besoin, l’une de ces superproductions qui réjouissent le public, font salle comble et permettent à de nombreux interprètes d’occuper le plateau. Pourtant Mayerling, malgré sa somptuosité et son sujet célèbre, déçoit à nouveau, comme il a déçu en 2022, lorsque l’Opéra inscrivit à son répertoire cette vaste et lugubre fresque créée par le Royal Ballet en 1978.
Soyons clairs : Kenneth MacMillan (1929-1992) fut un fantastique chorégraphe, d’une intelligence psychologique et scénique considérables : Manon et le Chant de la Terre, sont des chefs d’œuvre. Le premier, écrit en 1974 pour le Royal Ballet, est heureusement repris à Paris depuis 1990 et bouleverse toujours autant. Quant au Chant de la Terre , que l’on connaît moins, il est d’une telle intensité qu’il fallut des décennies à John Neumeier, pourtant spécialiste de Mahler, pour oser s’y attaquer, à cause de la perfection de la version MacMillan.
© Maria Helena Buckley / OnP
Au contraire, Mayerling est une erreur : une erreur grandiose, dispendieuse, qui a l’avantage de faire danser de nombreux solistes, de les promener dans des costumes éblouissants signés Nicholas Georgiadis, complice de MacMillan et de Noureev, et de proposer des rôles spectaculaires aux deux héros, encore que la malheureuse Mary Vetsera ne fasse que peu d’apparitions sinon dans ses pas-de-deux amoureux.
Erreur que la musique choisie, celle du pauvre Liszt, dont la Faust Symphonie a été ici abondamment utilisée mais dont plusieurs pièces maîtresses du répertoire pianistique, sont noyées dans un gloubi-boulga symphonique qui confine à la vulgarité. On connaît peu d’exemple aussi féroce de massacre à la tronçonneuse musicale, pour servir un ballet, à part les Sylphides des Ballets Russes, sur Chopin, d’abord créées en Russie par Fokine sous le nom de Chopiniana. Dans Mayerling, dont émergent quelques thèmes lisztiens célèbres que l’on récupère avec tristesse, comme noyés dans un maelström, le compositeur semble transformé en batteur de foire, malgré la bonne volonté du chef Martin Yates et des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra.
© Maria Helena Buckley / OnP
Mais surtout, voilà une histoire sordide, où tout est corruption, ou plus rien n’a de sens, ni l’amour, ni la beauté, ni le pouvoir vacillant, ni l’esprit d’un pays. Tout roule sous la table, dans l’ivresse, la débauche, le mal être, la drogue, la folle richesse, pour finir dans une boue sanglante, celle là même qui emportera Elisabeth d’Autriche, neuf ans plus tard, et fera s’abîmer l’empire austro-hongrois dans le néant, au début du XXe siècle.
Le pire étant que le ballet, mal ficelé, mêlant une foule de personnages féminins qu’on a du mal à différencier, à l’exception de l’impératrice Elisabeth, admirablement campée par Celia Drouy, et de la jeune Mary Vetsera, seul vrai choc de la soirée, grâce à l’interprétation hors normes de Hoyun Kang, n’émeut jamais. Le héros, Rodolphe, que Paul Marque, l’un de nos bons danseurs, a du mal à incarner tant il est haïssable et porté par des lubies criminelles ou ordurières, ne parvient donc pas à capter l’intérêt. Ses camarades, partisans de la rébellion hongroise, n’éclairent que peu le sujet fumeux où se débattent amours sans grâce ni vraie passion. A quoi bon tant de débordements, s’ils restent peu perceptibles et peu attachants ?
© Maria Helena Buckley / OnP
On en est rendu, ce qui n’est certes pas négligeable, à savourer la danse pure, qui est ici splendide, car MacMillan, avec une violence cruelle et une sensualité provocante, lance les corps en pas-de-deux vertigineux, en portés tourbillonnants qui font frémir par leur dangerosité. Parmi les apparitions majeures, on aura noté les belles incarnations de ballerines en pleine ascension à l’opéra, comme Sylvia Saint-Martin en comtesse Larisch et Célia Drouy en Sissi, et surtout, car elle fut véritablement la merveille de la soirée, l’apparition flamboyante, presque trop pour ce personnage de très jeune fille victime de son monde pourri, de la Coréenne Hoyun Kang. La ballerine, qui n’est encore que sujet, projette dès sa première apparition, par ses dégagés vertigineux, son jeu passionné, un charisme explosif, qui donne à espérer de grands lendemains. Tragédienne, certes, superbe silhouette, et que l’on attend de découvrir dans des rôles plus nourris que ces brefs tourbillons de volupté et de désespoir. Vraie surprise d’une distribution qui compte surtout des étoiles et des premiers danseurs aguerris, au fil des nombreuses représentations : Mary Vetsera ne sera pas morte pour rien !
Jacqueline Thuilleux
Mayerling (chor. K. MacMillan/ Mus. Franz Liszt) – Paris, Palais Garnier, 5 novembre ; prochaines représentations, les 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15 & 16 novembre 2024 // www.operadeparis.fr/saison-24-25/ballet/mayerling
N.B. L'iconographie de ce compte-rendu ne correspond pas à la distribution de la soirée du 5 nov.
Photo © Maria Helena Buckley / OnP
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