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Mariss Jansons et l’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise à la Philharmonie – Un accomplissement – Compte-rendu

Démarche hésitante et visage amaigri, Mariss Jansons (photo) donne l’impression d’être à bout de forces. Dès qu’il s’empare de la baguette à la tête de son orchestre bavarois (dont il est directeur musical depuis 2003), cette impression se dissipe tant l’investissement du chef letton et son osmose avec les instrumentistes transfigurent la musique qui paraît couler de source.
 

Rudolf Buchbinder © DR
 
Dès l’Ouverture d’Euryanthe de Weber, la profondeur sonore qui se dégage fait entendre l’inouï avec des cordes lumineuses et denses, une petite harmonie d’une perfection rare et des cors d’une absolue justesse. L’équilibre d’ensemble ainsi obtenu résout la quadrature du cercle entre puissance et clarté. La même impression prévaut avec le Concerto pour piano n° 2 de Beethoven bien que Rudolf Buchbinder, en grand styliste, préfère traduire la forme de l’œuvre plutôt que d’en renouveler la lecture. Accompagnement de rêve qui laisse le soliste aller droit son chemin, doigts ailés mais toujours contrôlés. Le bis lâche la bride avec Soirée de Vienne, diabolique paraphrase d’Alfred Grünfeld sur des thèmes de Johann Strauss. Une pièce que Buchbinder apprécie particulièrement et qui ouvrait le récital « Waltzing Strauss » enregistré pour Teldec en 1999.
 
La Dixième Symphonie de Chostakovitch n’a pas non plus de secret pour Jansons, et il semble encore ici la réinventer. Un miracle de progression dans la conduite du Moderato initial d’un poids dramatique quasi insoutenable, culminant dans des accords déchirants avant de mourir dans la stridence du duo des flûtes piccolo (magnifiques de cohésion) et l’homogénéité du tapis de cordes. L’Allegro – un portrait de Staline ? – est tenu de bout en bout par une direction implacable où chaque pupitre paraît mettre sa vie en danger, à l’image de l’exceptionnel timbalier Raymond Curfs. L’intensité de l’Allegretto, mortifère, reprenant le thème DSCH si cher au compositeur, précède un final aux infinies nuances jusqu’à la jubilation tellurique de la bacchanale. Une interprétation inoubliable saluée par un public debout, sous le coup de l’émotion, et qui peine à quitter la salle.
 
 Michel Le Naour

Paris, Philharmonie, Salle Pierre Boulez, 31 octobre 2019

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