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Maria-João Pires et Julien Libeer en duo au Théâtre de la Ville – Transmission - Compte rendu

La formule est plaisante, attachante : le maître et le disciple. Tous deux partagent le clavier, attentifs au moindre souffle de l’autre, dosant parfaitement leurs appels et leurs réponses. Puis chacun s’en va à une petite table dans un coin de la scène pour l’écouter l’autre. Le seul problème pour ce concert Schubert-Ravel à la magnifique programmation, étant que contrairement à un duo classique d’artistes qui jouent à égalité, ici chacun reste tout de même sur ses positions : parfaite, donc la magnifique Fantaisie en fa mineur D 940, mais jouée avec une rigueur de maître par Maria João Pires, et un respect un peu handicapant pour Julien Libeer, bien qu’ils pratiquent l’exercice depuis deux ans. D’où une certaine rigidité, un académisme qui portait atteinte au charme de cette œuvre complexe, jouant sur les deux tableaux de la mélancolie et de la fraîcheur.

Julien Libeer © www.julienlibeer.net

Puis Julien Libeer, ce jeune Belge qui fut le premier élève de la pianiste portugaise à la Chapelle Musicale Reine-Elisabeth, s’est attelé au Tombeau de Couperin de Ravel. On a pu y juger la rondeur de sa sonorité, la douceur de son toucher et une élégance qui l’éloigne des briseurs de clavier. Seul manquait, peut-être, l’esprit, la touche de légèreté gracile qui fait toute l’ambiguïté de cette musique
 
Enfin la grande dame s’est remise au clavier, pour la Sonate en si bémol majeur D  960, chef-d’œuvre qui fut un des derniers traits du génie schubertien. Et l’écoute a changé : attaquée avec une douceur feutrée, se glissant dans le silence pour s’emparer des âmes, creusant sa complexe structure où interrogations, abandons et reprises d’énergie se nouent et se dénouent à l’infini, Maria João Pires a tissé avec le public des liens qui s’étaient peut-être distendus dans l’exercice précédent : bonheur troublant de ressentir le monde schubertien dans toute sa finesse et joie de retrouver un immense talent, celui d’une artiste qui rayonne depuis quarante ans.

Jacqueline Thuilleux
Théâtre de la Ville, le 6 juin 2015.
 
Maria João Pires se produira en duo avec Lilit Grigorian au Festival d’Auvers-sur-Oise, le 13 juin 2015. www.festival-auvers.com
 

Photo Maria João Pires © Felix Broede / DG
Photo Julien Libeer © www.julienlibeer.net

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