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Marc Minkowski dirige La Périchole et publie « Chef d’orchestre ou centaure » – Mots et Merveilles d’un artiste fulgurant

 

 
Au cœur d’une saison foisonnante qui marque ses soixante ans et les quarante de ses Musiciens du Louvre, on retrouve Marc Minkowski face à une Périchole mise en scène par son complice de toujours, Laurent Pelly: vibrionnante, charnue, pur jus des deux compères. Sa baguette galopante et sensible passe avec une souplesse diabolique des tourbillons drolatiques d’un Offenbach mi figue mi raisin, contrairement à Orphée aux Enfers et la Belle Hélène, aux accents mélancoliques qui disent la souffrance des personnages. Tandis que Laurent Naouri campe un impayable Vice-roi, que Stanislac de Barbeyrac, beau gosse vaillant et émouvant, est un Piquillo irrésistible et que Marina Viotti irradie en Périchole avec sa voix chaude et sensuelle, le chef lance en folie les chœurs de l’Opéra de Bordeaux, puis rattrape la balle et guide les solistes amoureusement, les suivant, les écoutant avec une finesse attentive qui n’est pas sans rappeler celle d’un Simon Rattle. Un régal, complété d’un livre où, à un rythme soutenu, il dit ses passions, son histoire, et évoque son amour fou des chevaux. Encore une cavalcade pour ce centaure de la musique, qui, lorsqu’il est en symbiose avec ses Musiciens du Louvre chéris, ne fait jamais cavalier seul. Afin de  mieux éclairer sa démarche, il ajoute pour nous quelques petits trots à ses ruades et cabrioles :
 

Pour cette Périchole jouissive, donnée à maintes reprises, comment abordez-vous chaque représentation ?
 
Rien n’est jamais pareil et ne doit être pareil, pour être vivant. Le spectacle implique les personnalités, les humeurs de tout un groupe, les miennes bien sûr et celles des interprètes, qu’il faut tantôt pousser, tantôt calmer. Mais l’essentiel est que nous sommes une équipe incroyablement soudée, avec des éléments neufs, comme la magnifique Marina Viotti et des basiques comme le cher Stanislas de Barbeyrac, qui a tenu à faire toutes les représentations, avec une fougue incroyable. Je travaille avec lui depuis une dizaine d’années, je lui ai fait faire son premier Don José, son premier Pelléas, mais je n’accompagnerai pas son premier Siegmund ! Tant pis…Pour ma part, j’ai toujours eu l’obsession de faire différent tous les jours, mais maintenant je veux parvenir à mieux que la veille et mieux encore le lendemain, un peu comme les chefs étoilés du Michelin, car, par parenthèse, je suis passionné par l’aventure gastronomique, sans pratiquer les fourneaux moi-même ! 
 
Ce livre, pièce unique dans votre parcours, est il un cadeau ou une nécessité ?

En fait, au début, je ne voulais pas. C’est mon ami Antoine Boulay (Président délégué des Musiciens du Louvre et Président de l’ensemble Aedes ndlr) qui a tenu bon, et l’opportunité que nous a donnée la période Covid, avec toutes ses angoisses à libérer, et son temps d’arrêt obligé, nous a permis d’entamer des heures et des heures d’échanges, de conversations téléphoniques, pour lesquelles j’ai dû fouiller dans ma foule de souvenirs, car j’ai une mémoire d’éléphant. Ensuite il a fallu trier tout ce panier débordant, difficilement pour nous deux. Mais je pense que le résultat se tient. Surtout j’aimerais que cela serve à de jeunes artistes, et leur montrer qu’ils doivent compter sur eux plus que sur le système.
 

© Franck Ferville - Agence VU
 
L’ouvrage n’est en rien polémique alors que votre carrière a été  parfois houleuse ?
 
J’ai cherché à être positif, avant tout. Je pourrais certes ajouter des tas de choses, mais je n’ai pas voulu faire remonter toutes celles qui se sont mises en travers de mon chemin, les bâtons dans les roues que j’ai pris plaisir à contourner, mes problèmes avec les syndicats, mes rapports décevants avec les présidents de la République que j’ai rencontrés, le léger mépris qui accompagnait parfois ma personnalité d’autodidacte. A Grenoble, où j’étais dans une structure forte, je suis tout de même devenu le mouton noir. Mais dans la superbe Bordeaux, j’ai voulu montrer que j’étais aussi un bon gestionnaire, même si je n’avais pas de formation pour cela. J’aime avoir la double casquette de pratique autant qu’artistique, et j’y ai laissé les comptes à flot. Aujourd’hui, plus que de me retrouver à la tête d’une institution, j’ai envie de créer ma propre « chose » musicale » et il y a des lieux pour cela. Mais il faut trouver des mécènes, débloquer les a priori, si courant en France, et surtout écouter les artistes. J’ai appris à faire des compromis, car j’ai trop vu de personnages tyranniques exercer leur pouvoir impunément pendant des années.  

© Guillaume Brunet-Lentz

Êtes-vous un homme pressé, ou un homme au galop ?
 
Avant j’étais pressé, maintenant je suis effectivement plus au galop, en harmonie avec la nature et la beauté. J’ai appris à m’arrêter, même si je couve toujours des projets un peu fous. Ainsi, entre deux Périchole, j’avais envisagé de faire l’aller et retour dans la journée entre Paris et la Suisse où sont mes chevaux, pour les retrouver quelques instants, tant ils me sont indispensables. Mais un peu de fatigue m’a retenu ! Surtout, je cherche à m’élever, je fais un travail sur moi, dans la lignée de mes grands parents paternels, tous deux psychiatres, et je commence à atteindre une sérénité nécessaire grâce à une quête spirituelle qui ne tient pas de la religion mais m’aide infiniment, et notamment à mieux comprendre la musique.
 
Vous qui êtes un homme de mouvement, aimez-vous la danse, que traitent de haut tant de grands chefs et de directeurs d’opéra ?
 
Heureusement, quelqu’un comme Barenboïm a beaucoup dirigé de ballets. Pour ma part, j’adore, et j’ai eu la joie de collaborer avec beaucoup de grands chorégraphes. J’ai notamment dirigé Coppélia de Charles Jude à l’Opéra de Bordeaux, où il fallait jouer finement avec les danseurs en n’arguant pas de ma position de directeur, j’ai eu de merveilleux contacts avec Laura Scozzi pour Platée, qui m’a permis des instants de fusion danse-musique exceptionnels. J’ai travaillé avec Mark Morris, j’ai fait venir Angelin Preljocaj à Bordeaux et je rêve de monter un jour avec un chorégraphe le délicieux Casse-Noisette, que je dirige volontiers en concert. Mais j’ai un grand regret, et une grande honte, celle de n’avoir pas répondu favorablement à la demande de Gérard Mortier, qui me proposait l’Orphée de Gluck à l’Opéra de Paris dans la version de Pina Bausch. Et cela pour me faire le chevalier blanc d’une authenticité gluckienne que je trouvais détournée par le ballet. Mais quand j’ai vu le spectacle, j’ai pleuré et je ne m’en suis pas remis !
 

La Périchole au théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet
 
Courant le monde, où trouvez plus le plus de bonheur ?
 
J’adore diriger au Japon où la concentration d’écoute est fabuleuse, presque religieuse, et les séquences d’autographes proprement délirantes: on m’y a fait signer les objets les plus hétéroclites, des sacs, des téléphones, un casque d’équitation ! Evidemment, le monde germanique est d’une réceptivité musicale unique, car c’est leur culture, dans tous les milieux. Mais finalement, tout se rejoint, et ma passion pour les univers différents ne faiblit pas. Certes j’ai une image baroque, et offenbachienne, bien que Debussy, dont j’ai dirigé le Pélléas et Mélisande à l’Opéra Comique en 2002 pour le centenaire de l’œuvre (soirée inoubliable ndlr), me soit particulièrement précieux. Mais je les chéris tous, de Mozart à Wagner, de Rameau à Beethoven, et je rêve de diriger un jour le Sacre du Printemps, qui me fascine depuis l’enfance, mais que j’ai toujours remis, tant il est difficile. Et j’ai un autre désir, encore plus subtil celui-là, parvenir à un arrangement orchestral des Barricades Mystérieuses de Couperin, pièce favorite de ma mère et dont la complexité, l’étrangeté m’emmènent dans un autre monde. Mais je ne sais si c’est possible, tant l’original pour clavecin est une chose accomplie. C’est en quelque sorte ma pièce de chevet. Pour le reste, je rêve autant du Ring que de West Side Story et on peut refaire Bach toute sa vie, sans relâche, n’est ce pas ?  
 
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 24 novembre 2022
 

Offenbach : La Périchole,  23 novembre ; prochaines représentations les 26 et 27 novembre 2022 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2022-2023/opera-mis-en-scene/la-perichole
 

Marc Minkowski, chef d’orchestre ou centaure, Confessions, avec Antoine Boulay - Editions Séguier, 208 p. / 21€
 
Trilogie Mozart-Da Ponte, Opéra Royal de Versailles, du 15 au 22 janvier 2023. www.chateaudeversailles-spectacles.fr

Le Bourgeois Gentilhomme, Opéra de Vichy, les 25 et 26 février 2023 / www.opera-vichy.com.  Opéra Comique du 16 au 26 mars (en alternance avec Théotime Langlois de Swarte) / www.opera-comique.com  
 
Photo © Franck Ferville - Agence VU

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