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Manfred de Schumann à l’Opéra de Montpellier – Les métamorphoses de Manfred – Compte-rendu

« Poème dramatique en trois parties de Byron avec musique », selon la définition du compositeur, Manfred est l’une des œuvres les plus inclassables et insaisissables de Schumann. « Un archipel de musique perdu dans un océan poético-dramatique », dit fort bien Brigitte François-Sappey d’une réalisation dans laquelle la partie musicale (admirable, à commencer par l’ouverture) occupe une part bien réduite par rapport à la parole. Entre 1848 et 1852, Schumann travailla à une composition dont Franz Liszt allait assurer la création à Weimar en juin 1852. Schumann était absent, bien engagé déjà sur la pente fatale ...

Byron disait « avoir composé son poème avec une véritable horreur du théâtre et afin de le rendre injouable » ; Schumann a livré une pièce de théâtre musical problématique ô combien pour qui entreprend de la porter à scène. Déjà remarquée à l’Opéra de Montpellier pour L’Hirondelle inattendue (de Simon Laks) et L’Enfant et les sortilèges, Sandra Pocceschi a osé s’attaquer à Manfred.
Que faire de cet ouvrage impossible, de ce mental theater ? Face au héros, souffrant, tourmenté, qui ne connaît pas de repos, l’artiste italienne met une salutaire distance et nous épargne le geignard romantique, la tête à claque perchée dans les montagnes.

© Marc Ginot

Reste que le spectacle du monde à rendu Manfred fou et c’est bien dans cette folie que S. Pocceschi nous embarque. Scénographie simplissime et efficace avec en milieu de scène un grand cube blanc translucide – selon les besoins, il s’ouvrira, de dépliera, pour finir par figurer la sainte croix au terme la dernière partie – qui sert de support à des vidéos très réussies (bravo au Studio Ancarani ; Caterina Vigano, Simone Rovellini, Karol Sudolski), et enferme parfois le héros pour figurer son espace mental ; sa « solitude peuplée de furies ». Rêve ? Réalité ? Qu’importe ... Le spectateur est convié à une sort d’excursion immobile dans la psyché troublée d’un héros auquel la mise en scène impose une série de métamorphoses (animal – un bouquetin qu’un chasseur finit par abattre –, enfant, fou, femme), parvenant avec l’aide de la vidéo et des lumières (signées Matteo Bambi) à un spectacle offrant des moments d’une grande intensité visuelle et poétique (accrue par d’opportuns bruits de nature).

© Marc Ginot

Prise de distance avec une certaine idée du romantisme, disions-nous à propos de l’approche de S. Pocceschi ? En Manfred, Julien Testard lui emboîte le pas, trop même en optant pour une manière extrêmement étale. Qu’il se refuse à tout hystérisation, fort bien, mais un peu plus de mordant, d’attaque dans la diction (le texte, traduit en français, a été adapté par Sandra Pocceschi, hormis pour l’Adieu au soleil de la troisième partie où, bonne idée, on revient à l’anglais et au texte de Byron), un peu moins de blancheur compenseraient l’effet plombant de certains monologues. Le comédien excelle en revanche dans les métamorphoses que la metteuse en scène exige de lui.

© Marc Ginot

Reste la musique – trop rare mais c’est ainsi ... A la baguette, David Niemann (qui connaît bien son Manfred pour avoir été l’assistant d’Emmanuel Krivine en 2013 à l’Opéra-Comique), mène l’affaire avec sensibilité et ardeur, même si l’on relève quelques défaillances du côté des vents (ne soyons pas trop sévère car, compte tenu du temps qui s’écoule entre chaque intervention musicale, l’orchestre joue finalement « à froid » tout le temps). Chapeau bas en tout cas à Tiphaine Vigneron pour son merveilleux solo de cor anglais dans le Ranz des vaches.
Magnifique dans l’Hymne des génies d’Arimane (dont S. Pocceschi et son équipe tirent l’un des moments les plus prenants de la soirée), le Chœur de l’Opéra de Montpellier (préparé par Noëlle Gény) fournit les solistes pour les très brèves interventions chantées (on reste ici à l’original en allemand). Il convient de saluer Christian Craipeau (Génie des airs), Sherri Sassoon-Deschler (Génie des eaux), Jean Philippe Elleouet-Molina (Génie de la terre), Ernesto Fuentes (Génie du feu) et les Quatre esprits de Laurent Sérou, Xin Wang, Jean-Claude Pacull-Boixade et J.-P. Ellouet-Molina. Soprano à la peine hélas pour le « Alle gingen, Herz, zur Ruh », sur un accompagnement de piano plutôt... flottant. A propos du piano, excellente idée de que cette « préparation » qui lui confère une sonorité d’instrument ancien.

Le défi de Manfred était de taille et, malgré les réserves que l’on peut formuler, il faut reconnaître à Sandra Pocceschi de l’avoir relevé avec une belle imagination. On n’en attendait pas moins de la part d’une artiste à suivre avec attention.

Alain Cochard

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Schumann : Manfred – 29 novembre, Montpellier, Opéra-Comédie ; prochaines représentations les 1er, 2 et 3 décembre 2017 / www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenement/manfred
 
Photo © Marc Ginot

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