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Maître Péronilla d’Offenbach inaugure le 7ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris – Bigamie à l’espagnole – Compte-rendu

Offenbach n’a pas fini de nous surprendre ! On se rendait au Théâtre des Champs Elysées curieux et intrigué par la résurrection de Maître Péronilla. Qu’allait donc bien nous réserver un ouvrage qui, après la cinquantaine de représentations qui suivirent sa création aux Bouffes-Parisiens le 13 mars 1878, a totalement disparu de l’affiche ?

1878 ... Le Second Empire est déjà loin ; dans la IIIe République naissante, les goûts du public, le style musical évoluent (la Société Nationale a été fondée en 1871) et, côté musique légère, l’opéra-comique connaît un bel essor (Lecoq crée La Fille de Mme Angot en 1872, Le petit duc en 1878). Jusqu’à la fin de sa vie (il mourra en octobre 1880), Offenbach demeura en prise avec son époque et, si Maître Péronilla s’annonce comme un « opéra-bouffe en 3 actes », son écriture témoigne d'une considérable évolution par rapport au ton féroce et un peu « négligé », pour reprendre le mot de Gérard Condé dans ses notes de programme, des ouvrages d’avant la défaite de Sedan.

© Fonds Leduc

Jacques Offenbach © Fonds Leduc

Le ton change, l’écriture orchestrale se fait plus fouillée, plus raffinée, plus éprise d’élégance, mais l’art d’Offenbach demeure. Fallait-il ressortir Maître Péronilla des cartons ? Oui, sans hésitation, le meilleur test étant l’accueil enthousiaste que le public lui a réservé (les auditeurs de France Musique pouvaient suivre la soirée en direct). 16 chanteurs ? Il n’en faut pas moins pour occuper les 26 rôles (!) d’une partition sur un livret de Nuitter et Ferrier. Ils ne sont certes pas tous essentiels à l’argument, mais en revanche indispensables du point de vue musical, en raison des nombreux ensembles (à l’Acte II en particulier) concoctés par l’auteur. On imagine le parti qu’un metteur en scène inventif pourrait tirer de tout ce matériau ...
 

Véronique Gens © Franck Juery

Trois ans après la création de Carmen, l’Espagne a la cote à Paris et sert de cadre à l’action de Maître Péronilla : Manoëla, fille de Péronilla, ancien avocat devenu le plus réputé des chocolatiers de Madrid (il semble aussi maîtriser la recette sans cacao ... ), est promise au vieux Don Guardona, dont elle n’a aucune envie. Le contrat de mariage civil a déjà été signé, l’union étant encouragée par la vieille et jalouse Léona, sœur de Péronilla. Celle-ci s’oppose aux sentiments de sa nièce pour le bel Alvarès. A la différence de Ripardos et Frimouskino, dont le stratagème, aidé par l’obscurité de l’église, va permettre la signature du mariage religieux par Alvarès et non Guardona. Et voilà notre Manoëla bigame ! Situation qu’Offenbach exploite de la plus savoureuse façon – un style nouveau, mais avec de délicieuses bouffées de la manière d’autrefois – pour conduire au verdict du tribunal de Madrid, Alvarès étant défendu par Péronilla redevenu momentanément avocat. L’union de Manoëla et Alvarès est reconnue, tandis que Guardano épouse Léona. Ruse de Frimouskino, le contrat civil n’était en réalité pas établi au nom de Manuela, mais de Léona !

Convaincu de la pertinence de cette exhumation, le Palazzetto a mis les petits plats dans les grands et réuni une exceptionnelle équipe de chanteurs comédiens. Eric Huchet (photo) campe un Maître Péronilla rusé et profondément complice de Manoëla et Alvarès sous ses airs patelins. Née à une date inconnue sous le brûlant soleil d’Espagne, Léona trouve en Véronique Gens une formidable interprète au sens comique prononcé qui, de sa militante hispanité, déclenche quelques uns des plus beaux éclats de rire de la soirée. La tendre et lumineuse Manoëla d’Anaïs Constans – que l’on retrouve avec bonheur après sa si belle Cendrillon (de Nicolas Isouard) stéphanoise – peut compter sur l’humanité souriante et complice du Ripardos de Tassis Christoyannis et sur le fringant Frimouskino d’Antoinette Dennefeld. Chantal Santon-Jefferry sait apporter à Alvarès toute l’impatient élan que requiert son personnage, tandis que François Piolino cultive avec art le ridicule de Don Guardona.

Markus Poschner © DVass

Beaucoup de petits rôles à côté de ces emplois principaux : Jérôme Boutillier se montre aussi impeccable en Corrégidor plein d’autorité qu’en bégayant membre du tribunal, Yoann Dubruque est un Don Henrique à la fière allure, Raphaël Brémard un notaire très ... notaire ! ( + Pedrillo). On n’oublie pas Antoine Philippot (valet/majordome/huissier), Diana Axentii (Paquita, Marietta, Rosita), le superbe baryton Philippe-Nicolas Martin (Felipe/Antonio/deuxième juge), ni Matthieu Lécroart (Don Fabrice/ premier juge). Last but not least, saluons Patrick Kabongo (Vélasquez major) et Loïc Félix (Vélasquez junior), peintres en bâtiment et ... descendants en droite ligne de l’auteur des Ménines. Leur duo vaut sa double ration de tapas !

A la tête Orchestre National de France, Markus Poschner rend justice à l’orchestre d’Offenbach  – plein de trouvailles pour suggérer une Espagne vue ... de Paris – avec finesse, verve, charme et esprit. On n’omettra pas enfin de louer la belle prestation du Chœur de Radio France (préparé par Marc Korovitch), pleinement investi. Le Palazzetto a donné toutes ses chances à Maître Péronilla ; il a su les saisir : vivement la sortie du disque !

Notez que le Festival Palazzetto Bru Zane n’en a pas fini avec Offenbach méconnu. Le 17 juin, aux Bouffes du Nord, Jodie Devos et l’Ensemble Contraste interpréteront une série d’airs pour colorature, avant le démarrage, le 20 juin, d’une série de six représentations de Madame Favart (1) à l’Opéra-Comique, sous la direction de Laurent Campellone et dans la mise en scène de d’Anne Kessler.

Alain Cochard

(1) www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-31-jacques-offenbach-propos-de-madame-favart-lettre-au
 
Offenbach : Maître Péronilla (version de concert), Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 1er juin 2019 /
7ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris, jusqu’au 30 juin 2019 : www.bru-zane.com/fr/festival-palazzetto-bru-zane-a-parigi/

Photo © DR

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