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Lyon - Compte-rendu : Barbe-Bleue et les Mamelles de Tirésias, mariage improbable


En trois soirées, l’Opéra de Lyon offrait six ouvrages tournant autour de l’heure de musique et réunis par une thématique un peu fourre-tout : amour et soupçons. Laurent Pelly avait hérité du doublé le plus dépareillé : aucun pont possible entre le monologue téléphonique de Poulenc et le dialogue par énigmes et révélations échangé entre Judith et Barbe-Bleue. Aucun écho entre l’auteur des Mamelles de Tirésias et Bartok.

Pourquoi Pelly a-t-il abandonné Felicity Lott sur une scène vide avec ces grands chromos de Lyon en fond et ces éléments de décors qui vont et viennent avec la fluidité du rêve ? La voix s’échappe à cour et à jardin, s’envole aux cintres, est bue par la coulisse. La salle n’en récupère que des bribes. Les lumières tricheuses ne saisissent que très imparfaitement les expressions si subtiles dont Lott habille un chant précis en diable mais dont le timbre s’est impitoyablement élimé. Dommage, mais au fond on en a peu assez d’entendre cette Voix humaine servant aux fins de carrière. Denise Duval n’avait pas soixante ans lorsqu’elle y mettait son français piquant.

Si les tempos du Poulenc ne respiraient pas assez, ceux consentis à Bartok étaient un peu trop tenus pour nous faire ce Château aussi dramatique qu’il devrait l’être. Hedwige Fassbaender ne craint pas le contre ut, on s’en doute, mais elle possède aussi l’ample médium corsé qu’exige le rôle et dose avec exactitude le cocktail de véhémence et de tendresse qui fait une vraie Judith. Peter Fried va très profond dans sa basse à la Szekely – il en déploie les notes surgraves que Bartok avait consenties à ce Barbe-Bleue légendaire, et fait progressivement craquer le verni du monstre pour laisser apparaître une âme presque trop humaine.

Direction d’acteur au cordeau, mais Pelly n’aurait pas dû dans la gestique imposée à Fried après l’ouverture de la dernière porte produire si littéralement la citation de Frankenstein, procédé trop voyant. Tout le spectacle était en fait assuré par l’étrange et immense mur mouvant qui évoluait avec la musique, dessinant des encoignures, une tour, un escalier, et pour finir se refermant en une implacable hélicoïde autour de Judith emmurée. La direction de Juraj Valcuha, sourd à la poésie de Poulenc, mais amère, acide, sombre et un peu lente pour un Château décidément hanté, soulignait encore cet improbable mariage.

Jean-Charles Hoffelé

Francis Poulenc : La Voix humaine ; Bela Bartok : Le Château de Barbe-Bleue

Opéra de Lyon, le 19 avril 2007

Le programme détaillé de l’Opéra de Lyon

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Photo : Franchella/Stofleth

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