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L’Orchestre d’Avignon, Samuel Jean et Emmanuel Ceysson - Une renaissance - Compte-rendu

La chose n’a rien d’un secret, l’Orchestre d’Avignon revient de très loin. Grâce à l’arrivée de Samuel Jean au poste de Premier Chef invité, un cap a été fixé ; la confiance est de retour. Premier enregistrement - réussi – du chef avec ses troupes, Le Docteur Miracle de Bizet (sorti chez Timpani), témoignait de l’entrée dans une ère nouvelle. On l’a vérifié sur place à l’occasion de l’original concert Fauré, Rénié, Dubois, Saint-Saëns que le chef donnait avec le concours du harpiste Emmanuel Ceysson (qui est, rappelons-le, Première Harpe de l’Orchestre de l’Opéra de Paris). Une parfaite illustration de la politique résolument française que l’Orchestre Régional Avignon Provence affirme avec le soutien du Palazzetto Bru Zane.

La suite de Pelléas et Mélisande de Fauré ouvre la soirée et manifeste une belle homogénéité d’ensemble, des coloris très approprié à l’esprit symboliste de la musique. La justesse des tempi lui permet de pleinement s’épanouir tout en conservant une fermeté de ligne qui prévient toute fadeur ou mièvrerie – la Sicilienne s’avère exemplaire de ce point de vue.

Place à la rareté et à la harpe ensuite avec le Concerto en ut mineur d’Henriette Rénié (1875-1956), célèbre virtuose (élève d’Hasselmans) doublée d’une talentueuse compositrice. Un ouvrage méconnu mais néanmoins fondateur ; le succès que remporta sa création, le 24 mars 1901 chez Lamoureux, avec la jeune femme en soliste (à 26 ans, Henriette Rénié faisait là ses débuts de concertiste) et sous la direction de Camille Chevillard, amena en effet certains collègues à s’intéresser à la harpe. Et Théodore Dubois d’écrire sa Fantaisie (1901) dans la foulée, Pierné son Konzertstück en 1903, Saint-Saëns son Morceau de concert en 1918.

En quatre mouvements, le Concerto en ut mineur requiert des moyens techniques considérables mais ne rime pas qu’avec virtuosité. On y trouve de belles idées mélodiques et un vrai dialogue s’établit entre la harpe et l’orchestre. On a pu s’en convaincre avec un Emmanuel Ceysson pleinement maître de son sujet. Projection sonore, époustouflante variété des timbres ; Ceysson balaie bien des idées reçues sur la harpe et en dévoile un potentiel expressif inattendu – dans la salle, pas mal d’auditeurs n’en croient pas leurs oreilles... L’immense virtuose est d’abord un musicien accompli ; s’il fait briller avec autant de jubilation que de sensualité la musique qu’il a entre les mains, il ne cède jamais à l’effet. On est frappé par la concentration du geste, la poétisation incessante du moindre détail, dans le brio (merveilleux Scherzo, final aérien à souhait) comme dans la tendresse rêveuse du mouvement lent. Attentif et complice, Samuel Jean fait idéalement corps avec l’approche de son soliste.

On comprend que Dubois (1837-1924) se soit lancé dans la composition de sa Fantaisie stimulé par l’exemple de celle qui avait été son élève en harmonie au Conservatoire de Paris. C’est d’ailleurs Henriette Rénié qui fit triompher l’ouvrage de son professeur en 1903 à la Société des concerts du Conservatoire. D’un seul tenant, la Fantaisie allie variété d’atmosphères et homogénéité d’ensemble. Elle est on ne peut mieux servie par l’interprétation narrative et vivante d’Emmanuel Ceysson. Portée par un orchestre toujours en éveil, la fraîcheur émerveillée de son propos fait mouche auprès du public. Succès énorme : deux bis dont Une châtelaine à sa tour de Fauré, d’une enchanteresse fluidité.

Œuvre de jeunesse de Saint-Saëns, la Symphonie n°2 en la mineur (1859, publiée en 1878) est bien rare au concert. Sachons gré à Samuel Jean d’avoir programmé cet ouvrage tonique et finement ouvragé où le compositeur montre un art déjà abouti. Très exigeant techniquement, l’Opus 55 place souvent les instrumentistes sur la corde raide. Le chef a toutefois bien raison de confronter sa phalange à une musique aussi formatrice. On pourrait ergoter sur quelques craquelures ici ou là, mais c’est d’abord la lumineuse énergie (la Tarentelle finale !) d’un orchestre en pleine renaissance que l’on retient. Nombreux, le public en redemande : la soirée s’achève sur une envoûtante Pavane de Fauré. L’Orchestre d’Avignon n’a d’ailleurs pas fini de faire parler de lui dans le domaine français. Un enregistrement de L’Amour Masqué de Guitry/Messager est annoncé pour février-mars chez Actes Sud. Il marquera pour la phalange provençale et son chef le début d’une série Guitry chez l’éditeur arlésien. Mais la passion de Samuel Jean pour le répertoire français s’exprime aussi au piano : il vient de signer avec la soprano Sabine Revault d’Allones et le baryton Thomas Dolié un quasi-intégrale des mélodies de Gabriel Pierné qui comble de la plus belle façon un grand vide de la discographie.

Alain Cochard

Avignon, Opéra, 22 novembre 2013

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Photo : Thibault Stipal/ Naïve
 

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