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Londres / Kommilitonen ! de Peter Maxwell Davies à la RAM - Opéra virtuose pour destins croisés - Compte-rendu


Depuis quelques années, la musique de Peter Maxwell Davies, toujours très expressive, privilégie l'espace resserré de la musique de chambre – en particulier dans les dix Naxos Quartets composés entre 2002 et 2007, commandés par la maison de disques éponyme pour le Quatuor Maggini. Le compositeur, né en 1934, ne cachait d'ailleurs pas qu'il en avait terminé avec l'opéra. C'est pourtant la création d'un nouvel opéra que la Royal Academy of Music, où Sir Peter est « Visiting Professor of Composition », invitait à découvrir, plus de onze ans après Mr. Emmet takes a walk, dont la production originale avait été présentée en son temps à la Maison de la musique de Nanterre.

Comme Mr Emmet takes a walk, Kommilitonen ! est composé sur un livret du metteur en scène David Pountney, qui avait déjà travaillé avec Peter Maxwell Davies pour The Doctor of Myddfai (1995) et avait également signé une remarquable mise en scène de The Lighthouse, opéra de chambre composé en 1979 qui reste l'une des œuvres les plus célèbres du compositeur aux côtés de Eight Songs for a Mad King.

La première surprise est que, quand Mr Emmet... et The Lighthouse requéraient un trio de solistes et un orchestre de chambre, Kommilitonen ! fait appel à des effectifs beaucoup plus importants : plus d'une vingtaine de rôles ainsi qu'un chœur de chambre, soutenus par un orchestre d'une quarantaine de musiciens, une fanfare et différents ensembles instrumentaux intervenant sur scène ou en coulisses.

La raison de cette profusion tient d'abord au livret de David Pountney, d'une étourdissante virtuosité. La nature des commanditaires – la Royal Academy of Music à laquelle s'est jointe la Juilliard School de New York – a incité le compositeur et son librettiste à prendre pour personnages des étudiants et pour thème l'activisme estudiantin. Trois histoires, trois destins sont retenus par David Pountney : celui de Hans Sophie Scholl et de la « weisse Rose » (La Rose blanche), groupe clandestin de résistants au nazisme fondé à l'Université de Munich (« Kommilitonen ! » [camarades étudiants] est l'adresse par laquelle ils débutent leurs tracts) ; celui de James Meredith, premier étudiant noir à intégrer l'Université du Mississippi ; enfin, celui d'étudiants chinois pendant la Révolution culturelle. Plutôt que de présenter ces trajectoires en trois tableaux successifs, le livret les entrecroise et, sur scène, David Pountney fait également se rencontrer les époques, comme se répondant l'une à l'autre – un tableau noir en fond de scène rappelant d'ailleurs le dénominateur commun aux trois histoires.

C'est aussi le défi que devait relever le compositeur. Il est peu de dire qu'il le fait avec enthousiasme. La caractérisation musicale des personnages et des situations se fait d'abord à grands traits, de façon presque caricaturale : James Meredith, qui se fait narrateur – à la première personne – de sa propre histoire, chante dans l'esprit des ballades, des « Old American Songs » à la Copland. Les étudiants de la « Rose blanche » empruntent langage puissamment romantique. Quant aux scènes « maoïstes », elles font appel aux fanfares, à ces cuivres de parade qui sont le langage universel des régimes totalitaires de tout continent.

Mais la musique de Peter Maxwell Davies est particulièrement mouvante. Elle s'insinue de scène en scène (l'œuvre est découpée en vingt-huit scènes, courts tableaux ayant chacun leur personnalité musicale, un peu à la manière du Wozzeck de Berg ; c'était d'ailleurs déjà le cas pour Mr Emmet takes a walk). Au fur et à mesure, le déferlement musical se fait plus irrépressible et charrie sur son passage toutes sortes d'échos (comme ce lied très schubertien – sur un poème de Goethe – dans l'intimité inquiète de l'appartement des Scholl). Insensiblement, les identités musicales convergent vers un finale optimiste – à tout le moins, pas complètement désenchanté – qui clame haut la nécessité de l'engagement.

La réalisation musicale par les jeunes chanteurs et musiciens de la Royal Academy est impressionnante. Le baryton Adam Marsden, qui tient le rôle tout en monologues de James Meredith, montre une belle assurance en même temps qu'un grand sens de la nuance dans son interprétation. Excellente aussi est la soprano Nathalie Chalkley, voix agile et incontestable présence scénique dans le rôle de Sophie Scholl, mais c'est toute la distribution dans son ensemble qui doit être saluée, chœur y compris. La mise en scène comme toujours très inventive, très corporelle de David Pountney (avec des traits de génie comme la scène de l'arrestation des parents par les « gardes rouges » confiée à des marionettistes) est ici servie à merveille. Bel enthousiasme également du côté de la fosse, où Jane Glover dirige l'orchestre avec entrain mais toujours en se gardant de couvrir le plateau, ce qui n'en rend que plus éclatantes les transitions entre les scènes, dévolues au seul orchestre.

Jean-Guillaume Lebrun

Sir Peter Maxwell Davies : Kommilitonen ! – Londres, Royal Academy of Music, le 21 mars 2011. Prochaines représentations à la Juilliard School de New York en novembre 2011.

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Photo : Stephen Lock

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