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L’Île du rêve de Reynaldo Hahn au Théâtre de l’Athénée – Charmeuse et secrète idylle – Compte-rendu

Ça y est ! Après sa berliozienne – et balconienne  – réouverture en septembre, le théâtre de l’Athénée est de retour dans la vie lyrique parisienne. Ce que l’on n’entend pas ailleurs : d’emblée Patrice Martinet réaffirme la singularité de l’établissement qu’il dirige en programmant une partition que Paris n’avait plus entendue depuis sa création à l’Opéra-Comique le 23 mars 1898 : L’Île du rêve de Reynaldo Hahn.

1891 : Hahn a 17 ans. Dans l’impossibilité de concourir pour le Prix de Rome (la nationalité française est obligatoire), le jeune Vénézuélien – encouragé par son maître Jules Massenet – compense cet état de fait en se lançant dans la composition de son premier ouvrage lyrique, sur un livret d’André Alexandre et Georges Hartmann (d’après Le Mariage de Loti de Pierre Loti). Il ne sera achevé qu’en 1894 au terme d’une genèse souvent difficile - la correspondance de l’auteur avec le pianiste Edouard Risler nous apprend beaucoup à ce propos.

Quatre ans plus tard, le Comique – dont Carré, successeur de Carvalho, tient le rênes depuis peu – programme L’Île du rêve ; André Messager conduit la création de ce que Hahn qualifie non d’opéra mais d’«idylle polynésienne en 3 actes». « Elle a le don de nous envelopper de ses chaudes caresses », disait Massenet de la musique de son élève – qui lui a d’ailleurs dédié son ouvrage. L’Île du rêve occupe une place marginale dans le répertoire lyrique français, mais elle fait entendre la voix – déjà – bien particulière d’un auteur que l’on redécouvre peu à peu et constitue l’un de ces « petits » maillons de l’histoire de la musique qui, comme tant d’autres œuvres oubliées, participent de la couleur, de la sensibilité d’une époque et, pour ceux qui y prêtent attention, aident à sa compréhension intime.

© Julien Mignot

Philippe Blay, musicologue qui a permis il y quelques années la redécouverte de l’ouvrage (1), et Julien Masmondet ont beaucoup fait on le sait pour son retour à la scène. Après le Festival Musiques au Pays de Pierre Loti, en mai dernier, Paris aura donc pu découvrir une œuvre au sujet de laquelle un commentateur (2) de la création écrivait : « Tout se tient dans cette musique, tout se suit et se poursuit ». On ne saurait mieux exprimer l’une des caractéristiques première de L’Île du rêve : une étonnante fluidité, un « tuilage » qui vont de pair avec une atmosphère charmeuse et un rien brumeuse – à rapprocher évidemment de l’esthétique symboliste. Les gros sentiments de ce que l’on appelle depuis peu le « cinématographe » ne sont pas l’affaire du jeune compositeur ; d’autres que lui auraient eu une approche autrement exacerbée de la relation de Loti et de Mahénu ...  

© Winterreise

Souplesse des lignes et délicatesse des coloris, conjuguées à un remarquable sens de la prosodie (la correspondance avec Risler révèle à quel point cet aspect préoccupait Hahn...), entretiennent un climat un peu mystique (Tūpāpa’u, l’Esprit des morts, rôde ...) que la mise en scène simple et efficace  d’Olivier Dhénin, pleine d’ombre, d’arrière-plans, de non-dits – et de clins d’œil à Gauguin ! – , respecte et amplifie, loin de tout exotisme facile façon palmiers et colliers de fleurs.

Julien Masmondet dirige avec beaucoup de naturel et de simplicité les musiciens de l’Orchestre du Festival Musique au pays de Pierre Loti dans un arrangement pour douze instruments de Thibault Perrine. La nouvelle fosse modulable de l’Athénée –inaugurée avec ce spectacle –  est une réussite ; le chef peut distiller les timbres, toujours l’écoute de ses chanteurs et du mouvement secret d’une partition savamment organisée sur le plan motivique.

Jeune ténor en pleine ascension, Enguerrand de Hys campe un Loti de belle tenue - avec une pointe de retenue qui convient bien à l'officier de marine qu'il incarne. La richesse de la voix et la qualité de la diction sont au rendez-vous aussi chez Marion Tassou, Mahénu pleine de séduction et caractère. Eléonore Pancrazi vise toujours juste dans le double rôle de Téria et Oréna, tandis que Safir Behloul tient avec ce qu’il faut de pittoresque le rôle de Tsen-Lee, un commerçant chinois. Quant à Ronan Debois il apporte de sa voix sombre beaucoup d’étrangeté à Taïrapa. Belle prestation de l’Ensemble vocal Dionysos, préparé par Pierre Kuzor. Un vrai travail d’équipe !
Le catalogue lyrique de Reynaldo Hahn attend bien des redécouvertes, puisse l’Athénée ne pas en rester là.

Alain Cochard

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(1)Philippe Blay est l’auteur d’une remarquable thèse de doctorat consacrée L’Île du rêve disponible sur l’indispensable site : reynaldo-hahn.net
(2)Arthur Pougin – Le Ménestrel (27/03/1898) 
 
Hahn : L’Île du rêve – Paris, Théâtre de l’Athénée, 8 décembre ; prochaines représentations les 10 et 11 décembre 2016. www.concertclassic.com/concert/lile-du-reve

Photo © Engerrand de Hys (Loti) et Marion Tassou (Mahénu) © Winterrreise

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