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Les Variations Goldberg par Pascal Vigneron au Festival "Komm, Bach" – De l’orgue à tuyaux à l’Orgue de concert Virtualis – Compte-rendu

 Concert paradoxal que ce 57ème rendez-vous de Saint-André-de-l’Europe (1), église du quartier Saint-Lazare, dans le cadre de la troisième édition du Festival Komm, Bach, conçu et animé par le titulaire de l’instrument, Bertrand Ferrier, pour mettre en valeur l’orgue relevé en 2016 par Yves Fossaert (2), dans la mesure où ce n’est pas cet orgue que Pascal Vigneron fit entendre. Et même doublement paradoxal : ce concert fêtait la sortie de la gravure de l’œuvre inscrite au programme, les Variations Goldberg de Bach, à l’orgue Schwenkedel-Koenig restauré de la cathédrale de Toul (3). Un concert sur un orgue numérique pour célébrer l’orgue à tuyaux.
 
Paradoxal, mais nullement contradictoire, quand bien même les « puristes » auront à cœur de s’insurger. Directeur de l’imposant Festival Bach de Toul, Pascal Vigneron, très investi sur le versant pédagogique de la diffusion de l’orgue et de ses répertoires, entend précisément porter l’instrument là où il n’y en a pas, finalité première de cet orgue (console et sonorisation externe) à vocation itinérante. À la différence du compositeur et organiste Erik Feller utilisant en concert le système Hauptwerk (3) pour faire découvrir des esthétiques instrumentales différentes – il existe nombre de « labels » proposant des « banques de sons » d’une incroyable diversité, de l’orgue ancien ou symphonique de tous pays jusqu’à l’orgue contemporain via l’orgue de cinéma –, Pascal Vigneron a fait réaliser une console à trois claviers manuels et pédalier faisant parler une palette fixe de 63 jeux, l’Orgue de concert Virtualis. Celui-ci utilise des « banques de sons » de la firme tchèque Sonus paradisi (Virtual Pipe Organ Project) : les claviers I et II empruntent à l’orgue Bartolomeo Formentelli (2007, d’après Dom Bédos) de l’église de Rieti (Latium), le III au Cavaillé-Coll de Saint-Étienne de Caen, la pédale offrant un « mix polyvalent ».
 
Inutile d’opposer l’orgue à tuyaux, le vrai, l’unique diront (à juste titre) nos « puristes », et l’Ersatz que serait l’instrument numérique – on ne parle pas de la même chose. Il n’empêche, quantité de musiciens le reconnaissent : on peut faire de la musique sur un instrument numérique, lequel joue pleinement son rôle là où il n’y a pas d’orgue à tuyaux, dont la primauté ne souffre donc aucune question. S’y ajoutent des avantages manifestes pour l’amateur pouvant aborder à domicile tel ou tel répertoire sur un instrument d’esthétique appropriée, travailler sur différents tempéraments, utiliser l’octave courte… – bref, un outil de travail, mais aussi de plaisir, sans limites.
 

L'Orgue de concert Virtualis en action © Bertrand Ferrier
 
Le concert de Pascal Vigneron tendait une passerelle entre ces univers complémentaires, d’autant moins rivaux que ce sont bien sûr de véritables instruments qui, intégralement, tuyau par tuyau et boucle sur boucle, sont captés grandeur nature, avec bruits de mécanique, voire de soufflerie, et restitution (ajustable, car tout est possible avec le numérique) de l’acoustique du lieu où retentit l’authentique instrument numérisé. Ce fut d’ailleurs l’une des surprises à l’audition en concert, convaincante sur un strict plan sonore et de spatialisation (le texte de présentation de Pascal Vigneron en explicite les exigences en regard des aspects conceptuels des Goldberg), l’acoustique de l’instrument restitué contrastant avec celle du lieu d’audition, Saint-André-de-l’Europe – « dichotomie » initiale vite intégrée une fois les auditeurs plongés dans le flux musical.
 
Les Goldberg de Pascal Vigneron telles que confiées au disque à Toul sont singulières et suprêmement achevées au sens d’un fini acéré. L’exactitude du rythme et des équilibres y règne en maître, jusqu’à donner un certain vertige devant l’absence de fragilité en termes de restitution instrumentale, la moindre note étant drastiquement maîtrisée. L’exactitude, donc l’intelligibilité des parties, et de l’ornementation. Avec de jolis partis pris d’alternance, mettant en œuvre les aspects structurels et d’écriture évoqués, avec/sans ornementation, ainsi la reprise de l’Aria inversant la donne en regard de l’énoncé initial – la boucle est bel et bien bouclée, dans une parfaite symétrie et pourtant différemment.
 
À Toul, l’utilisation de l’orgue va dans le sens tant d’un respect que d’une affirmation de sa nature néobaroque, en lien avec une époque précise. Notamment dans les variations faisant appel aux anches, qui bien que charnues et dynamiques n’en sonnent pas moins « néo » – dans un sens nullement dépréciatif mais plutôt d’un constat positif d’appartenance à un temps historique dans lequel l’interprète se glisse, quitte à faire autrement ailleurs : la précision absolue résulte d’un travail intense dans un contexte esthétique, non nécessairement transposable à l’identique, la restitution de l’œuvre devant chaque fois être réinventée. À l’appui de cette impérative précision, les deux variations en mineur (temps de respiration où le rythme absolu peut trouver à se détendre, afin de chanter en induisant un sentiment de surprise, à l’instar des méandres d’une voix humaine) demeurent « impassibles » dans ces Goldberg. Jamais la lettre n’y est oubliée, peut-être pour montrer que le texte déclamé avec la même exactitude que les variations animées trouve son propre rythme lyrique sans ajout de « sentiment ». On admire la droiture du propos et presque l’endurance du chant orné, sans forcément vibrer.
 
Une question s’était imposée à l’écoute du disque : est-ce qu’en concert une telle « droiture » est tenable sans faillir, ou bien la pulsation montante et descendante du souffle du musicien ne peut-elle, sur la durée, que laisser passer « du sentiment » ? On eut la réponse à Saint-André-de-l’Europe, par-delà la démonstration de l’adaptabilité de l’approche à un tout autre contexte instrumental : sur un tempo global extrêmement vif (tenant aussi au sentiment du « sur le vif »), les partis pris conceptuels dictés par l’œuvre telle que perçue et ressentie par Pascal Vigneron demeurèrent rigoureusement inchangés – sorte de permanence dans l’adaptation –, y compris les variations en mineur, droites et inflexibles, étrangères à toute poésie qui résulterait d’une détente, pour une cohérence sans partage.
 
Signalons que le Festival Bach de Toul 2019 (avril-octobre), pour célébrer son dixième anniversaire, affiche une programmation particulièrement ambitieuse. Outre la Passion selon saint Matthieu que Pascal Vigneron dirigera en la cathédrale Saint-Étienne le 15 juin, on relève un « Week-end des Variations Goldberg », les 29 et 30 juin, avec Pieter-Jan Belder au clavecin, Dimitri Vassilakis au piano, et bien sûr Pascal Vigneron à l’orgue.
 
Michel Roubinet

 Paris, église Saint-André-de-l’Europe, 2 février 2019
 
 
(1) www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Paris/Paris-Saint-Andre-de-l-Europe.htm
 
(2www.facebook.com/orgueenfrance/posts/eglise-saint-andré-de-leurope-paris-viiièmevendredi-7-octobre-à-18h30inauguratio/1795543280722103/
 
(3) Quantum QM 7084. Une version « comparative » avait précédé en 2008/2009, Quantum QM7053, avec Christine Auger au clavecin, Pascal Vigneron à l’orgue (celui de Toul avant restauration) et Dimitri Vassilakis au piano, répartition que l’on trouvait déjà dans les deux volumes du Clavier bien tempéré par les mêmes interprètes, Quantum 7039/7043. www.ledisquaire.com/112_quantum?id_manufacturer=112&n=32
 
(4) Hauptwerk (international) : hauptwerk.com / Hauptwerk France : www.hauptwerk.fr
 
 
Sites Internet
 
Pascal Vigneron / Festival Bach de Toul
www.bachtoulfestival.com/index.html
 
Festival Komm, Bach / Bertrand Ferrier
www.bertrandferrier.fr/?tag=festival-komm-bach
 
Manufacture d’orgues Yves Fossaert
orgues-fossaert.com

Photo © DR

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