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Les Percussions de Strasbourg jouent Xenakis à la Philharmonie de Paris – De mémoire et d’avenir

 

Centenaire de la naissance de Iannis Xenakis oblige (1), la Philharmonie de Paris met à l’honneur l’auteur des Pléïades au cours d’un grand week-end qui, du 17 au 20 mars, embrasse sa production dans toute sa diversité, mais aussi grâce à l’exposition « Révolutions Xenakis ». Ouverte depuis la mi-février, celle-ci constitue une introduction parfaite à l'artiste d'origine grecque et l'on ne peut que recommander la visite, l’immersion plutôt dans le dispositif, conçu par l’architecte Jean-Michel Wilmotte ; il donne à comprendre et, plus encore, à ressentir physiquement l’univers d’une des figures majeures de la musique du second XXe siècle, d’un compositeur-architecte dont la tellurique inspiration contraste salutairement avec pas mal de ratiocinations grisâtro-sérielles.
 
Iannis Xenakis et Le Corbusier © Collection Philips
 
Né vingt-cinq siècles trop tôt

 
Aucune pesanteur didactique, ni de laborieux cheminement chronologique dans le parcours imaginé par Thierry Maniguet et Mâkhi Xenakis, co-commissaires de l’exposition. Une fois posées quelques bases, faits et dates (dont l’enfance, puis la marquante expérience de la guerre et de la résistance) indispensables à la compréhension de la suite – avec, au commencement de l'exposition, le fameux pavillon Philips, réalisation commune de Le Corbusier, Xenakis et Varèse pour l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958 – « Révolutions Xenakis » se prolonge autour de quatre grands axes thématiques : Alliages, Polytopes, Espace-temps, Machine et dessin. L’exploration de l’imaginaire de celui qui, grand amoureux de l’Antiquité grecque, fasciné par l’architecture et le nombre, se disait «né vingt-cinq siècles trop tôt », s’appuie sur de précieux documents (les partitions de Xenakis sont d’une grande beauté graphique) et n’oublie pas d’évoquer les grandes rencontres de l’artiste – avec Olivier Messiaen par exemple, dont le rôle s’avéra déterminant dans l’affirmation de son cadet, ou encore avec le chef d’orchestre et infatigable sectateur de la modernité Hermann Scherchen.
 
La partition graphique de Metastasis © Coll. famille Xenakis

Du piano à la musique chorale
 
Profitez de votre venue au week-end Xenakis, pour découvrir « Révolutions Xenakis » en amont d’un des concerts. Entre le récital de Stephanos Thomopoulous placé en ouverture, qui mêle Xenakis et Debussy, et le concert de clôture avec Les Siècles de François-Xavier Roth (dans Alax (1985) et des pages de Stravinski, dont le Concerto pour violon sous l’archet d’une de ses meilleures avocates actuelles : Isabelle Faust), on retrouvera l’Ensemble Intercontemporain et Matthias Pintscher (Wagner, Xenakis, Neuwirth, Goubaïdoulina), Léo Warynski et ses Métaboles, formation associée ici à divers autres chœurs (Stella Maris, Fiat Cantus, Polysons, etc.) et à l’organiste Hampus Lindwall  – on est toujours heureux de relever les occasions où la Philharmonie ose se servir d’un instrument superbe mais scandaleusement sous-utilisé depuis son inauguration ... – pour Xenakis (Gmeeoorh, Nuits), Poulenc, Pärt et une création de Lucia Ronchetti.
 

Les Percussions de Strasbourg à la Maison de la Culture du Japon, le 22 janvier 2022 © Goro - MCJP

Triple célébration pour les Percussions de Strasbourg
 
Il demeure que si un ensemble français s’imposait avant tous les autres pour cette célébration Xenakis, ce sont bien évidemment les Percussions de Strasbourg. Quelques semaines après leur passage à la Maison de la Culture du Japon et une mémorable et très applaudie reprise du programme « Rains » (Hosokawa, Kishino, Taïra, Takemitsu), les « Percus » sont de retour à Paris le 19 mars pour un concert qui marque tout à la fois le centenaire Xenakis, les 60 ans du mythique ensemble alsacien et la sortie d’un enregistrement de deux des sommets les plus élevés du répertoire qu’il a édifié au fils des ans : Persephassa, créé en 1969 à Persepolis – autre époque ... – et Les Pléïades (1979).
 

 Persephassa et Les Pléïades - 1 livre-disque PDS 121
 
Faire vivre un patrimoine et innover

 
Membres des Percussions de Strasbourg depuis une décennie, Minh-Tâm Nguyen est leur directeur artistique depuis quatre ans. Bâtir un répertoire ... Avec 400 œuvres créées en soixante ans, la formation peut se targuer d’avoir écrit un chapitre essentiel et foncièrement novateur de l'histoire de la musique. Et l’aventure continue ! « Nous sommes héritier d’une histoire, souligne Minh-Tâm Nguyen, de soixante ans de patrimoine que nous faisons vivre tout en continuant à créer de nouvelles partitions, en essayant d’innover avec une équipe de quinze musiciens. »
 
Minh-Tâm Nguyen © Jesus S. Bapstista

Le centenaire Xenakis ne pouvait aller sans une initiative marquante en direction de ce compositeur. Aussi abouti musicalement qu’éditorialement, le livre-disque sorti il y a peu réunit Les Pléïades et Persephassa. « Deux chefs-d’œuvre du répertoire, joués avec régularité par divers ensembles, dont certains très jeunes, constate le directeur artistique. Les Pléïades font appel à un instrument imaginé spécifiquement pour elles : le sixxen (instruments métallique de 19 hauteurs distribuées inégalement ndlr) ; certains ensembles ont d’ailleurs conçu leur propre sixxen. Au-delà du monde la percussion, ce sont deux chefs-d’œuvre d’écriture et de composition. Nous continuons à jouer sans clic, ce qui suppose un temps de mise en place plus important, et un mode d’exécution beaucoup plus risqué : il faut faire confiance à ses partenaires ! Pour l’enregistrement, réalisé en juillet 2021, nous avons eu envie d’aller au bout de ce qu’a écrit Xenakis. Dans Claviers (2volet de Pléïades) par exemple, à la fin de la pièce, il y a un passage que pratiquement tout le monde joue deux fois plus lentement que ce qui est indiqué ; nous avons l’avons joué à la vitesse écrite. C’est là une manière de montrer que les Percus relisent les partitions et ne se contentent pas de les rejouer telles qu’elles ont été créées. »
 

Ancien directeur artistique des Percus (de 2015 à 2017) et parmi les plus grands percussionnistes et pédagogues (au CNSMD de Lyon) d’aujourd’hui, Jean Geoffroy s’est naturellement imposé à l’esprit de Min-Tâm Nguyen comme directeur artistique de l'enregistrement. « J’avais besoin de quelqu’un sur lequel je puisse totalement compter », confie-t-il à propos de celui qui était déjà à la direction artistique du splendide Burning Bright d’Hugues Dufourt, première référence acclamée du label sous lequel les Percussions de Strasbourg publient désormais tous leurs enregistrements. Avec Franck Rossi au côté de Jean Geoffroy pour la prise de son et au mixage, l’album Xenakis des Percus s’impose parmi les grandes parutions de ce début d’année et promet de faire pour très longtemps référence.
 

 Le compositeur-architecte en une signature ... © Collection part.

Iannis, Karlheinz et les autres ...
 
L’année des 60 ans sera forcément très marquée par ce programme Xenakis. Après la grande salle de la Philharmonie, dont le format et l’acoustique promettent de rendre pleinement justice à la spatialisation que requiert la chorégraphie de sons et de timbres des Pléïades et de Persephassa, il sera repris les 10 et 12 avril au Megaron d’Athènes, puis les 1er et 2 juillet à Lugano et le 18 juillet à Ajaccio. Reste que, c’est l’une des grandes forces des Percus et des chances du répertoire dont elles sont héritières (la formation a en permanence un quinzaine de programmes différents disponibles), d’autres auteurs les occuperont dans les semaines et les mois qui viennent : Kabelac, Ohana, Manoury et Cacciatore le 31 mars à Strasbourg (Théâtre de Hautepierre), De Mey à Venise les 2 et 3 avril et à Lausanne le 18 juin, Ikeda à Berlin le 25 mars et à La Haye le 7 avril. Enfin, selon des modalités qui restent encore à préciser, le Festival des 60 ans des Percussions se tiendra à Strasbourg au cours de la semaine du 6 juin. Un mois qui verra en outre l’un des membres de l’ensemble, Rémi Schwartz, prendre part à l’Académie ULYSSES de l’Ircam, dans le cadre festival ManiFeste, pour transmettre son expérience à de jeunes musiciens.  
 
Quant à la rentrée elle sera, elle aussi, synonyme de mémoire et d’avenir puisque le festival Musica accueillera la recréation de Musik im Bauch (Musique dans le ventre) de Karlheinz Stockhausen, ouvrage pour percussions et boîtes à musique écrit pour et créé par les Percus à Royan en 1975. Cette composition rattachée à l’univers de l’absurde sera donnée dans une mise en scène de Simon Steen-Andersen et marquera le début du cycle autour de l’humour et de l’absurde qui va occuper les musiciens alsaciens jusqu’en 2025.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Minh-Tâm Nguyen réalisé le 4 mars 2022)
 

 
(1) 1921, 1922 ? Un doute subsiste sur l’année exacte de la naissance de Iannis Xenakis
 
 
Xenakis à la Philharmonie de Paris
 
« Révolutions Xenakis »
Jusqu’au 26 juin 2022-03-14 : philharmoniedeparis.fr/fr/activite/exposition/24162-revolutions-xenakis
 
Week-end Iannis Xenakis
Du 17 au 20 mars 2022
philharmoniedeparis.fr/fr/agenda?startDate=2022-03-17&weekend_i=791
 
Site des Percussions de Strasbourg :
www.percussionsdestrasbourg.com/

Photo (Iannis Xenakis dans les années 80) © DR

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