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Les Nozze di Figaro à l’Opéra Bastille - Noces en grand - Compte-rendu

Dorothea Röschmann chante avec un art consommé Dove sono lorsque soudain la moitié de Bastille se met à applaudir. Stupeur chez la cantatrice, en fosse légère panique, tous se demandent quel signal ils ont bien pu envoyer au public pour qu’il manifeste sa joie là, en plein milieu certes d’une plus belles arias de Mozart, mais en plein milieu tout de même. Faut-il se réjouir ou pleurer ? Se réjouir que tant de novices ce soir là découvraient les Nozze, monstrueux baptême collectif à en faire baver le plus vorace des évangélistes, pleurer que tous ces nouveaux convertis aient si peu l’oreille musicale ? Car applaudir à ce moment de Dove sono demeure inexplicable sinon inexcusable.

En tous cas on en est là : même le public qui va à l’opéra ne cache plus son inculture, il l’expose bruyamment. En trente-cinq ans de fréquentation des théâtres lyriques on n’avait jamais rencontré pareille situation. Röschmann reprend, mais la magie s’est évaporée. Elle ne reviendra pas, même pour le jardin joué petit pied et traîné par la baguette sans esprit de Dan Ettinger.

Car cette seconde série de représentations n’échappe pas au déséquilibre premier qui défait le spectacle de Giorgio Strehler, filé à la lettre mais sans esprit par Humbert Camerlo : les dimensions de Bastille, et d’abord celles de la fosse. Comment supporter aujourd’hui l’énorme machine symphonique qui sommeille durant plus de trois heures, engluant les rythmes, alourdissant les phrases, forçant les couleurs et surtout effaçant les paroles des chanteurs jusque sur leurs lèvres. Si Dan Ettinger était un peu moins narcissique, si il flattait un peu moins son éléphant de luxe qu’il cornaque d’une estrade montée au plus haut (littéralement on a l’impression qu’il trône au premier plan tout au long du spectacle) et s’occupait un peu plus de son plateau, l’orchestre de Mozart pourrait paraître malgré l’embonpoint, mais las ! La battue reste morne, la baguette pose sans arrêt, et trompe plus d’une fois les chanteurs. On souffrait pour eux durant la première demi-heure du spectacle, où tous passaient la plupart de leur temps à côté de l’orchestre, rarement avec lui.

Mais quelle distribution sur le papier : le Figaro de Schrott, le Comte de Maltman, Röschmann pour Rosine, Kleiter et sa Suzanne blonde. De quoi faire des Nozze trépidantes, en place de quoi tout se traîne, plombé par cette fosse morne. Est-ce si difficile de respirer avec Mozart ?

Erwin Schrott est un Figaro formidable, juste peuple comme il faut, avec exactement le baryton sombre et difficilement placé dans la voix que veut Mozart. Le comédien brûle les planches, mais son chant n’est jamais sur les pointes, n’a pas ce rebond dans l’articulation savoureuse des mots, cette générosité du timbre. La malice est dans le jeu, rarement dans la voix et alors pour un effet « hors chant ». Maltman ne fait qu’un demi-Comte, plus sensuel que dangereux, et au III, après le massacre de Dove sono, il abandonnera et le chant et le jeu, visiblement décontenancé. Julia Kleiter rayonne plus par sa blondeur que par son chant : trop légère pour Bastille, sa Suzanne aurait pris des couleurs et de la matière à Garnier. Magnifique Chérubin, pas encore totalement réalisé, selon Isabel Leonard, silhouette et voix à la Von Stade, comprimari formidables (la Marcellina piquée d’Ann Murray, l’Antonio plus finement joué et chanté qu’à l’habitude de Christian Tréguier, la très fruitée Barbarina de Zoe Nicolaidou, pour ne citer qu’eux). Et au milieu un Diamant : la Comtesse de Dorothea Röschmann, timbre profond, lumière diaprée, souffle infini, le chant mozartien à l’état pur, et simplement la plus belle Rosine qu’on ait entendue depuis Margaret Price.

Jean-Charles Hoffelé

Mozart : Le Nozze di Figaro - Paris, Opéra Bastille, le 21 mai, puis le 23, 26, 28, 31 mai, 5 et 7 juin 2011. www.operadeparis.fr

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Photo : Mirco Magliocca / Opéra de Paris
 

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